Remarques sur TotalEnergies et notre dépendance aux énergies fossiles

Nourritures terrestres
15 min readMay 29, 2023

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Cette partie est la suite du numéro de Nourritures terrestres Remarques sur la mobilisation contre TotalEnergies”.

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Concernant TotalEnergies

On peut tout à fait :

…à la fois penser que le pétrole est encore utile à court terme, que nous avons donc besoin de producteur de pétrole pour cette durée-là, voire estimer que TotalEnergies pourrait tout à fait devenir un champion des énergies renouvelables en basculant de modèle d’affaires (et donc en planifiant une réduction crédible de sa production fossile) ;

… ET dans le même temps critiquer TotalEnergies justement parce que l’entreprise ne fait pas cette bascule : au lieu de faire décroître les fossiles, l’entreprise continue de développer de nouveaux projets (1 nouveau projet d’extraction de pétrole ou de gaz par mois depuis janvier 2021 !) et prévoit en 2030 un mix énergétique avec 15% de renouvelables et 85% d’énergie produite à partir de fossiles. Au lieu de faire décroître ses émissions en valeur absolue, elle ne cherche à les réduire qu’en intensité carbone. Par ailleurs, l’association Bloom montre que TotalEnergies se sert des énergies renouvelables comme d’un contre-feu en les instrumentalisant pour « verdir » ses plateformes pétrolières (voir tweets 16 à 22 ici).

Que les autres grands majors pétroliers ne fassent pas mieux, voire ne cherchent pas à développer les renouvelables, ne suffit pas à légitimer pour autant cette stratégie. C’est tout le secteur qui doit arrêter l’expansion des fossiles. L’opposition à TotalEnergies s’inscrit dans une opposition plus large, contre la tendance générale prise par les majors.

Comme le dit Antoine Gillod de l’Association Climate Chance, « ce qui compte, ce n’est pas tant la transition de TotalEnergies que celle du mix énergétique mondial. Nous restons dans un régime historique d’accumulation énergétique, pas de transition. Laisser les mains libres aux majors, c’est inféoder notre futur aux logiques économiques prédatrices sur les communs. »

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Une fois qu’on a dit ça, que faudrait-il faire concrètement pour faire basculer les majors comme TotalEnergies ?

Pour nourrir le débat, je vous renvoie vers un point de vue qui, pour le coup, ne sera pas considéré par tous comme « nuancé », mais qui mérite pour autant la lecture. C’est celui d’Andreas Malm publié dans Le Grand Continent il y a un an. Celui-ci défend l’idée de la nationalisation, avec l’argumentation suivante (ci-dessous les principaux extraits ; l’argumentation complète nécessite de lire l’article) :

« Plus vous consommez et émettez, plus de personnes mourront. Si cela semble violent, c’est parce que ça l’est. Si l’on accepte la science du changement climatique anthropique, un constat logiquement inévitable en découle : les combustibles fossiles tuent des gens et ce de manière de plus en plus importante à mesure que le statu quo se poursuit. La production de combustibles fossiles (…) chaque année (…) devient plus meurtrière.

(…) Les projets en Afrique de l’Est, en Angola et au Brésil, pour lesquels Total a reçu un feu vert en 2020, généreraient un « taux de rendement interne » — comprendre : un profit — attendu entre 15 et 20 %, contre 4 ou 5 % pour les installations éoliennes ou solaires. Rien ne permet de penser que Total et les autres acteurs du secteur de l’accumulation du capital soient sur le point de renoncer à cette tentation pérenne.

(…) Les entreprises comme Total devraient être nationalisées. Dans le cas de Total, l’État français devrait immédiatement procéder à son expropriation et faire en sorte que sa production de pétrole et de gaz soit réduite à zéro [au bout d’un certain délai]. Cela semble extrême ? Toute véritable atténuation du changement climatique implique par définition la fin de la propriété privée des combustibles fossiles. Les industriels ne doivent plus être autorisés à extraire du charbon, du gaz ou du pétrole et à les vendre pour la consommation, pas plus qu’ils ne sont autorisés à commercialiser du sarin ou du gaz moutarde.

Toute personne qui souscrit à l’objectif de limiter le réchauffement planétaire doit reconnaître que le temps de cette liberté commerciale particulière est révolu. Certains pourraient vouloir repousser la date de sa fin à 2060 ou 2300. Leur engagement envers la cause climatique pourrait alors être remis en question. La logique, en tout cas, est indéfectible : au-delà d’une certaine date — celle du début d’une véritable action climatique — la propriété privée des combustibles fossiles ne sera plus qu’un mauvais souvenir. »

« La propriété de l’État en soi n’est pas une garantie que les compagnies pétrolières et gazières cesseront la production. Il suffit de regarder l’Arabie saoudite ou la Chine. Mais lorsque les entreprises sont déjà aux mains des États, il suffit de réécrire les directives ; la structure de propriété requise est déjà en place. Pour les sociétés privées libres, la première étape consiste à les placer sous contrôle public. Ce n’est qu’alors que les sociétés pourront être libérées de l’obligation de maximiser le profit et, éventuellement, être adaptées à d’autres fins. »

« La nationalisation des entreprises de combustibles fossiles (…) marquerait une victoire de la démocratie. Une micro-élite — la fraction de la classe dominante qui profite de la production de pétrole, de gaz et de charbon — serait dépossédée du pouvoir de mettre le feu à la planète.

Les travailleurs de ces entreprises ne doivent pas avoir peur. Pour eux, une mission historique commence maintenant, car ils possèdent des compétences et des technologies pétrochimiques uniques : précisément ce qui est nécessaire pour inverser le réchauffement de la planète. Total et ses équivalents pourraient être chargés de capter le CO₂ atmosphérique, de le généraliser et de le séquestrer dans le sol — de le transformer en pierre et de l’enfouir sous la croûte terrestre jusqu’à la fin des temps. La production de combustibles fossiles serait interrompue tandis que la capacité de piégeage du carbone serait mise en place dans le cadre d’un programme accéléré.

L’entreprise anciennement connue sous le nom de Total deviendrait un service public dont le but serait de nettoyer le gâchis qu’elle a contribué à créer et de restaurer un climat dans lequel la civilisation humaine puisse prospérer. Chacun pourrait garder son emploi, mais il n’y aurait plus de marchandise à vendre — seulement un commun, l’atmosphère, à restaurer. »

D’autres auteurs défendent un point de vue similaire, comme ce collectif de scientifiques dans un article publié en décembre dernier. Ils précisent de leur côté que « dans le cas de TotalEnergies, il pourrait éventuellement être envisagé de ne nationaliser que sa branche gérant le sous-sol et les énergies fossiles. Le but de la nationalisation serait ainsi de réduire la production d’énergies fossiles » et déroulent un argumentaire qui rejoint celui de Malm.

Concernant nos besoins en pétrole plus globalement

« Il est évident que nous n’arrêterons pas, dès demain, de brûler des énergies fossiles : il y a par exemple 1,42 milliard de voitures sur les routes de la planète et moins d’1% d’entre elles sont entièrement électriques. Vous ne pouvez pas simplement forcer les véhicules conventionnels à quitter la route, pas plus que vous ne pouvez éteindre instantanément toutes les centrales à gaz. C’est pourquoi le réchauffement climatique est un problème si difficile : après deux cents ans de développement continu avec les énergies fossiles au centre de notre économie, nous en sommes aujourd’hui profondément dépendants ».

Voilà ce qu’écrivait, à raison, le journaliste spécialisé et militant écologiste Bill McKibben dans l’un de ses éditos de 2021 dans The New Yorker. « D’un autre côté, nous devons arrêter de brûler des énergies fossiles » ajoutait-il, conscient lui-même de l’ambivalence, voire de la contradiction, de cette position.

Alors comment se débrouiller avec ça ? Plusieurs lignes directrices se dégagent a minima, outre le besoin de passer au plus vite du « brun » au « vert » :

-Côté plafond, orienté offre : arrêter de développer de nouveaux projets fossiles. Cf tout ce qui a été dit dans le reste du numéro. Cette condition devrait être une règle d’or non-négociable. Parmi les pièges à éviter ici : ne pas accorder le moindre crédit (y compris littéralement !) aux majors pétroliers qui misent avant tout sur la capture du carbone pour « compenser » leurs émissions, afin de pouvoir continuer le « business as usual » dans le fossile (pour plus d’explications, lire la conclusion de mon numéro sur le sujet).

-Côté plafond, orienté demande : arrêter de construire de nouvelles infrastructures dépendant des énergies fossiles ou nourrissant la demande pour celles-ci. Ces infrastructures ne font qu’alimenter et prolonger notre dépendance. Elles repoussent les efforts à mener en aggravant la crise climatique et en le rendant encore plus compliqué à gérer à l’avenir. Elles augmentent le rythme de consommation du budget carbone mondial restant, qui fond déjà comme au neige au soleil.

Dans son texte, Bill McKibben appelait même à « ne rien construire de nouveau qui conduise à devoir brûler des fossiles », qu’il s’agisse d’infrastructures mais aussi de produits. « Chaque fois que vous construisez [un projet d’énergies fossiles] vous choisissez de ne pas construire de panneau solaire, de ne pas construire d’éolienne. Chaque fois que vous construisez un nouveau véhicule thermique, vous choisissez de ne pas construire un véhicule électrique. Et, comme les voitures et les centrales électriques ne sont que des achats occasionnels, chaque nouvelle commande reporte de quelques années ou décennies une piste de solution à la crise climatique. »

Si ce raisonnement se comprend, il semble toutefois légèrement déconnecté s’agissant du calendrier. Ainsi en Europe l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves en 2035 est déjà vue comme une marche d’une ampleur considérable, dont l’atteinte n’est même pas encore garantie ; il est douteux de penser que placer cette échéance durant les années 2020 aurait pu être envisageable.

-Côté plancher : reconnaître que notre dépendance au pétrole est telle que nous ne pouvons pas en sortir immédiatement, même en étant tous de bonne volonté. Nous allons continuer à en consommer. Et ce pour au moins deux grandes raisons.

D’abord, le débat a tendance à se focaliser sur le pétrole en tant qu’énergie, ce qui est l’enjeu majeur pour le climat mais pas le seul : on oublie parfois à quel point nous dépendons du pétrole dans nos vies en dehors des transports (environ 40% du pétrole extrait du sous-sol sert à autre chose qu’aux transports), en tant que matières premières pour tout type de produits (ce que montre par exemple ce petit jeu en une image). Certaines entreprises ont d’ailleurs redécouvert l’ampleur de leur dépendance « masquée » à l’occasion de la guerre en Ukraine, qui a fait exploser son prix. Notamment dans le textile où 1,5 kilo de pétrole est nécessaire pour fabriquer 1 kilo de polyester, présent dans 70% des vêtements.

Les produits issus de la pétrochimie sont « partout et font partie intégrante des sociétés modernes », rappelait l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dans son rapport « The Future of Petrochemicals » paru en 2018 : plastiques, engrais, emballages, vêtements, détergents, pneus, etc. Près de 99% des matières plastiques et une majorité des textiles sont issus de la pétrochimie.

Pour enfoncer le clou : les produits pétrochimiques devraient constituer « le principal moteur de la demande mondiale de pétrole » selon les prévisions de l’AIE : ils devraient à eux seuls compter pour plus d’1/3 des besoins supplémentaires de pétrole d’ici à 2030 et près de 50% des besoins supplémentaires à l’horizon 2050 — plus que les transports.

Dans le « Clean Technology Scenario » de l’AIE, la pétrochimie est même l’unique « segment en croissance de la demande mondiale de pétrole » d’ici à 2050.

Ceci invite à prendre au sérieux les usages non-énergétiques du pétrole dans toute réflexion sur « la sortie du pétrole ».

C’est justement pour cela que des associations comme Zero Waste France se battent à juste titre pour en finir avec l’économie du jetable qui alimentent les besoins en plastique, dont toute une partie sont superflus. Pour autant, attention aux slogans simplistes qui pourraient appeler à arrêter immédiatement tout usage du pétrole. Le pétrole en tant que matière première sera bien plus difficile à remplacer que le pétrole énergie, comme l’expliquait l’an dernier Le Monde.

« Il sera difficile de parvenir à un monde à zéro plastique », estime ainsi Christian de Perthuis, fondateur de la chaire Economie du climat à l’université Paris-Dauphine. « Il y a des usages plastiques scandaleux et inutiles, mais, dans certains cas, il semble encore compliqué de substituer la matière première pétrolière à une autre pour fabriquer ces plastiques. Notamment en ce qui concerne les multiples usages sanitaires dans les systèmes de santé. »

Aujourd’hui, par exemple « un médicament comme l’aspirine s’obtient à partir du benzène et du propylène, deux briques de base issues du pétrole », souligne Benoît Louis, directeur de recherche au CNRS. Autre exemple : l’un des constituants du vaccin anti-covid de Pfizer est un dérivé de la pétrochimie (le PEG).

Cette dépendance du domaine médical au pétrole montre que la transition vers une économie décarbonée est loin de pouvoir se faire en un claquement de doigt. Et le médical n’est pas le seul concerné.

Comme le montrent bien les travaux de l’association Les Greniers d’abondance (une synthèse ici), la dépendance de notre système alimentaire aux énergies fossiles est considérable, pour le fonctionnement des machines agricoles, la fabrication d’un grand nombre d’engrais, les chaînes de transformation et distribution…La transition vers un autre système alimentaire est possible et nécessaire mais ne peut pas se faire du jour au lendemain.

A noter tout de même que ce débat sur l’idée d’un « zéro pétrole » reste assez théorique ; en pratique, côté offre les pétroliers continuent leurs projets d’exploration, et côté demande nous sommes loin d’avoir entamé une vraie bascule vers un autre modèle dans l’usage massif des plastiques ou dans l’agroalimentaire.

La deuxième raison pour laquelle nous avons encore besoin de pétrole est…la transition elle-même vers une économie bas carbone. On a besoin de pétrole (et de gaz) pour effectuer la transition ; difficile par exemple de s’en passer aujourd’hui pour construire à grande échelle des parcs éoliens ou solaires. De même la rénovation des bâtiments, lorsqu’elle implique du double ou triple vitrage en PVC, suppose du pétrole.

En conséquence, il faut l’accepter : paradoxalement, la transition bas carbone émettra inévitablement beaucoup de CO2 pour pouvoir se mettre en place : les estimations parlent de 195 GtCO2. Cela représente près de la moitié du budget carbone restant pour rester sous 1,5°C.

Ce constat frappant devrait nous inciter à être très précautionneux sur la façon dont ce budget carbone est englouti aujourd’hui. Il faudrait pouvoir ne garder la consommation d’énergies fossiles que pour ce qui est indispensable en priorité, et ce pour une période transitoire. C’est bien pour cela, par exemple, que l’avion est autant un symbole. Que le trafic aérien ne fasse « que » 1, 2 ou 3% des émissions mondiales n’est pas le nœud du problème : c’est bien plutôt le fait que cela vient « manger » une partie de notre budget carbone restant, déjà extrêmement réduit, au détriment d’autres usages qu’on est en droit de juger prioritaires.

Ce choix des priorités est subjectif ? Oui, bien sûr ! Voilà pourquoi ceux qui considèrent que l’écologie ne devrait pas être politique ou politisée n’ont pas compris de quoi il en retourne. L’enjeu écologique est par nature politique puisqu’il implique des choix de société différents, fondés sur des valeurs différentes, qui impliqueront des gagnants et des perdants de façon différente en fonction des choix. Il n’y a pas « une » trajectoire neutre, objective, qui serait intrinsèquement meilleure qu’une autre.

-Côté résilience et justice sociale : soutenir l’arrêt du développement de projets fossiles implique de mettre en place dans le même temps de vraies politiques de sobriété pétrolière, au risque sinon de faire subir à la population une hausse de coûts difficilement soutenable socialement.

Or nous sommes encore très loin de telles politiques, malgré certaines avancées comme la marche vers l’électrification des véhicules.

Pensons par exemple aux 8 milliards d’euros de la « prime carburant » qui n’ont fait que prolonger la dépendance au pétrole des Français, et qui ont bénéficié 2x plus aux ménages aisés que modestes, alors que le même montant aurait pu financer 15 ans de plan vélo ou 1 million de primes à la conversion pour l’acquisition de véhicules moins polluants.

Autre exemple, très récent et peu ébruité : dans un article paru il y a quelques jours, le Financial Times révélait que les gouvernements européens auraient exprimé en privé des inquiétudes concernant les engagements « Net zero » des grands assureurs. Leur crainte : une hausse du coût de l’énergie si les assureurs se mettaient véritablement à arrêter d’assurer les énergies fossiles. Cette peur serait l’une des causes du départ de nombreux assureurs de l’alliance NZIA (Scor, AXA, Allianz, Munich Re, …) qui réunissait les grands acteurs du secteur autour d’objectifs exigeants.

On le voit donc ici : construire au plus vite une société qui ne dépend plus des énergies fossiles est une nécessité y compris dans une perspective de résilience et de justice sociale.

Et ce d’autant plus que ceci n’est pas valable que du point de vue de la consommation d’énergie, mais aussi, en particulier, du point de vue des emplois dans les industries et dans les territoires. C’est toute la question des actifs échoués et du concept de redirection écologique, qui implique d’anticiper la fermeture d’activités (dans des stations de ski, par exemple) qui ne seront plus viables demain.

Quand l’exploitation des ressources fossiles devrait-elle prendre fin ?

En 2020, le chercheur Stefan C. Aykut estimait que « la question de la limitation de l’extraction des énergies fossiles qui font marcher nos économies reste largement impensée. (…) Il faudrait vraiment trouver une façon de parler de la fin de l’exploitation des ressources fossiles. (…) Il faut accepter de nous fixer nous-même des contraintes. Or ces questions ne sont jamais abordées par la gouvernance globale. Aujourd’hui c’est l’ancien paradigme qui prime encore, des politiques en fin des tuyaux pour réguler les émissions. (…) La question climatique nécessite une approche en amont, qui ne régule pas seulement en fin de tuyaux, mais qui régule ce qui entre dans le moteur et le moteur lui-même ».

Ceci vient rappeler qu’au-delà du besoin d’arrêter le développement de nouveaux projets d’énergies fossiles, il faudra bien aussi un moment limiter puis arrêter l’exploitation des projets existants. Au vu du combat mené contre la stratégie de TotalEnergies et des autres majors, qui concerne surtout la 1re étape, on voit qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir et cela rend d’autant plus légitime les demandes des activistes du climat, qui n’ont donc rien de radicales, loin de là.

Autre distinction à faire : mettre fin aux énergies fossiles n’est pas équivalent à mettre fin aux ressources fossiles. En effet comme dit plus haut, l’usage des ressources fossiles ne se limitent pas à des usages énergétiques. Dans le cadre de la lutte contre le changement climatique, la plus grande partie de l’effort à fournir repose sur ces usages énergétiques (ce qu’on appelle mettre fin aux énergies fossiles) mais il restera aussi le besoin de réduire les usages non-énergétiques des ressources fossiles, liés en particulier à la pétrochimie et la production des plastiques (dont les impacts sur l’environnement touchent au climat, à la biodiversité, à notre santé…), et viser à terme une sortie de ces usages-là là aussi, en ayant anticipé tout ce que cela implique, par exemple dans le domaine médical qui en dépend fortement aujourd’hui.

Vers une économie de guerre climatique ?

Pour conclure : c’est bien parce que tout ceci sera difficile qu’il faut planifier et anticiper cette transition qui est d’une ampleur colossale. On peut toujours (se) raconter des belles histoires sur « l’écologie positive » mais la réalité est qu’il s’agit d’une redirection radicale, dont les pouvoirs publics tardent à prendre la mesure.

Au passage, il est un peu ironique qu’il ait fallu attendre le rapport de Jean Pisani-Ferry paru la semaine dernière (« Les incidences économiques de l’action pour le climat ») pour que certains se décident à prendre au sérieux les idées qui y sont présentées. Celles-ci, dans l’ensemble, avaient pourtant été déjà énoncées et mises en avant par d’autres acteurs depuis un certain temps (Institut Rousseau, etc.), mais manifestement ces derniers n’avaient pas été jugés suffisamment crédibles. Peut-être est-ce l’occasion pour les « nouveaux convertis » d’aller désormais explorer les autres travaux déjà produits par des acteurs qui planchent sur ces questions depuis déjà quelques années.

Et justement…un travail de recherche récent mérite l’attention. Une équipe pluridisciplinaire a modélisé les conséquences sur l’économie d’une transition énergétique mondiale rapide et compatible avec l’accord de Paris.

Cette étude arrive à la conclusion que « la transition énergétique requiert des investissements digne d’une économie de guerre ».

« Le taux d’investissement de l’économie mondiale (c’est-à-dire la part du PIB non dédiée à la consommation des ménages et du gouvernement) devrait augmenter de 26 % aujourd’hui à plus de 40 % au pic de la transition. Une telle situation n’a plus été observée dans un pays occidental depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis. C’est dire que les simulations du modèle correspondent à une économie de guerre où la production de tanks, obus et bombardiers serait remplacée par celle de panneaux solaires, éoliennes et réseaux électriques. »

Ce travail présente d’autres conclusions intéressantes : dans son scénario principal, le taux d’emploi augmenterait de 20 % entre aujourd’hui et 2050 ; cela conduirait à une pénurie de travailleurs et augmenterait fortement leur pouvoir de négociation salariale. En conséquence la part des salaires dans le PIB augmenterait de l’ordre de 10 points, alors que celle-ci n’a cessé de diminuer depuis 40 ans dans l’ensemble des économies occidentales.

Au global, les chercheurs montrent qu’une transition énergétique compatible avec l’accord de Paris impliquerait « une restructuration profonde de l’économie ». Elle serait « fortement inflationniste » et ferait donc « réémerger au premier plan la question de la répartition de la richesse entre capital et travail. »

C’est de tout cela qu’il faudrait urgemment discuter et débattre. Certains commencent à le faire : le collège des Bernardins organise un colloque sur l’économie de guerre climatique samedi 10 juin au matin, avec plusieurs intervenants comme Magali Reghezza-Gitt, Anaïs Voy Gillis et François Ruffin. D’autres travaux et mises en débat suivront certainement. Nous en avons besoin !

Cet article fait partie du numéro de Nourritures terrestres“Remarques sur la mobilisation contre TotalEnergies”. Tous les numéros précédents ont consultables ici. Un grand merci à celles et ceux qui soutiennent ce travail sur ma page Tipeee :) Et à très vite avec une série spéciale d’articles à paraître tout l’été…A très vite ! Clément

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