Quelle biodiversité protéger ? Le cas des chats

Nourritures terrestres
27 min readNov 11, 2023

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Suite de l’introduction du numéro de Nourritures terrestres du 12 novembre.

Cet article est une retranscription raccourcie du cours de la chercheuse Anne Atlan donné au Collège de France en mars 2023 (vidéo de 55mn disponible ici). Toutes les citations ici sont issues de son cours et les illustrations de sa présentation.

Avant-propos : quelle biodiversité protéger ?

Un rapide point est nécessaire avant d’entrer dans notre sujet des chats.

Anne Atlan commence par présenter succinctement les critères qui conduisent nos sociétés à vouloir protéger ou non certaines espèces. Il est donc ici seulement question de biodiversité “en termes de nombre d’espèces, qui est celle la plus accessible au grand public, aux médias et même aux décideurs”, et non de biodiversité génétique ou fonctionnelle (…si ces termes ne vous disent rien, lire “Les bases sur la biodiversité”). Cette précision faite, laissons la parole à Anne Atlan :

“On distingue 4 catégories d’espèces :

  • Les espèces endémiques, qui sont originaires d’un territoire et qui n’existent à l’état naturel nulle part ailleurs.
  • Les espèces indigènes, qui sont aussi originaires du territoire mais peuvent être présentes dans d’autres territoires (le plus souvent proches). Par exemple, si une espèce n’est présente que sur une île, elle est endémique, mais si elle est présente aussi dans l’archipel, elle est indigène.
  • Les espèces introduites, aussi appelées espèce exotiques, qui sont originaires d’ailleurs et introduites récemment par les humains. Il y a un petit flou sur la distance à laquelle doit se situer cet « ailleurs » et sur ce que veut dire « récemment », mais, en gros, si elle vient d’un autre continent et a été introduite depuis 500 ans, on va considérer que l’espèce est introduite.
  • Les espèces invasives (ou espèces exotiques envahissantes) qui sont des espèces introduites mais qui, en plus, prolifèrent de manière libre dans le territoire et ont des impacts négatifs.

Les espèces qu’on souhaite protéger sont les espèces endémiques et indigènes — et encore plus les espèces endémiques puisqu’elles n’existent que sur un seul territoire.

On tolère les espaces introduites. On a d’ailleurs intérêt à les tolérer puisque la plupart des espèces agricoles que l’on mange sont des espèces introduites : par exemple le haricot, la tomate, la pomme de terre chez nous, et d’autres ailleurs.

Quant aux espèces invasives, on essaie de les contrôler et de les éradiquer puisque elles entrent en compétition avec les espèces endémiques.

Cette classification montre donc que les gestionnaires de la nature disposent d’un critère très important pour savoir quelles espèces protéger, indépendamment de leur proximité avec les humains, de leur rôle emblématique, de leur sensibilité : il faut qu’elles soient endémiques ou indigènes.”

Le chat domestique : espèce emblématique, espèce invasive

“On trouve de nombreuses publications disant que les espèces invasives sont la deuxième cause d’extinction de la biodiversité. En fait, cela dépend d’où on regarde : sur les continents ou dans les îles. C’est l’une des premières causes d’extinction dans les îles — je vais en reparler.

Puisque les espèces invasives sont une cause de perte de biodiversité, protéger celle-ci implique de les contrôler voire de les éliminer. Mais cela soulève beaucoup de problèmes.

L’un d’entre eux, celui dont je vais parler aujourd’hui, est le suivant : certaines de ces espèces invasives qui ont un impact avéré sur la biodiversité sont des animaux domestiques. L’espèce qui va nous occuper aujourd’hui est le chat dit domestique (le chat Felis catus).

Je ne vous parlerai pas du chat sauvage, celui qui vit dans les forêts, parce qu’il est en équilibre avec son écosystème, n’a pas été introduit ailleurs, et n’est considéré nulle part comme une espèce invasive. C’est néanmoins l’ancêtre de notre chat domestique, par un processus de domestication qui est l’un des plus anciens que l’on connaisse puisqu’il a commencé au Néolithique.

Au Néolithique les humains ont cessé d’être sédentaires : ils ont construit des villages, fait de l’agriculture, stocké des céréales. Ce stockage de céréales a attiré les rongeurs. Les chats ont été attirés par tous ces rongeurs, et leur présence a été favorisée par les humains puisqu’il les aidaient à lutter contre ces rongeurs. En conséquence, dès le Néolithique, dès les premiers villages, les chats ont cohabité avec les humains.

(…) Et puis, petit à petit, le chat est rentré dans les maisons et est devenu animal de compagnie.

Puisqu’il y avait des souris dans les maisons, le chat a toujours eu le droit de rentrer dans les maisons contrairement à d’autres animaux domestiques comme le chien, mais il n’était pas nourri puisque son rôle était de chasser les souris et les rats. C’est un cas très particulier parmi les animaux domestiques : il est à la fois très familier et très sauvage, il a gardé ses instincts prédateurs, sa capacité à la chasse ; de ce fait, il est encore aujourd’hui très autonome et peu transformé physiquement par rapport à son ancêtre sauvage.

Assez récemment (il y a peut-être environ 100 ans) le chat devient vraiment un animal de compagnie qui va rentrer dans les maisons et dont l’unique rôle sera de tenir compagnie au maître.

Comme il y avait des rats sur tous les bateaux, on a mis des chats sur tous les bateaux ; partout où les humains sont arrivés en bateau, ils ont donc introduit des rats et des chats. Les chats ont donc été une espèce et un prédateur introduit au niveau mondial avec lequel il a fallu cohabiter et qu’il a fallu gérer.”

Les chats comme dangers sur les îles

“J’ai commencé à étudier cela là où c’était le plus facile pour moi, c’est à dire en France, mais néanmoins dans une île. Je vais vous présenter les résultats d’une enquête que j’ai menée dans le parc naturel de Port-Cros avec Véronique Van Tilbeurgh, sociologue de l’environnement, et deux étudiantes respectivement en gestion et droit de l’environnement, Noélia Colomé et Mila Rossary.

Les chats peuvent chasser de petits mammifères, oiseaux, lézards et batraciens. Ils sont considérés comme responsables de la disparition de nombreuses espèces endémiques particulièrement dans les îles. Pourquoi les îles ? Parce que les îles, en particulier océaniques, celles qui n’ont jamais été en relation avec les continents, n’avaient pas de mammifères à part les chauves-souris, et donc pas de prédateurs.

Les animaux, oiseaux, batraciens ont donc évolué sans ces prédateurs. Il existe des animaux qui nichent au sol, comme le kiwi [oiseau incapable de voler] en Nouvelle-Zélande, qui ne savent pas se défendre ; lorsqu’on introduit là-bas un chat, un furet ou un autre prédateur, c’est un carnage.

De nombreux exemples témoignent de la disparition de petite faune sauvage dans les îles du fait de l’introduction de chats. Pour les gestionnaires de la nature, c’est un danger ; ils mettent donc en place des programmes de contrôle ou d’éradication des chats. On en trouve dans le monde entier : ici par exemple, vous voyez une barrière anti-chats et un piège à chats.

D’un autre côté, les chats sont des animaux domestiques. En France, les animaux domestiques sont protégés par une législation spécifique et une jurisprudence sévère. Il y a de plus en plus de prison ferme pour cruauté envers eux. Ils sont très aimés de la population. Quand on commence des programmes d’éradication des chats, on fait face à des réactions très importantes de la population locale mais aussi d’associations de protection des animaux (la SPA qui est française ou d’autres internationales comme One Voice).

Alors comment se fait-il qu’il puisse y avoir une telle différence ?”

Typologie biophysique des chats

“Pour répondre à cette question, on peut commencer par faire une typologie biophysique des chats, en mettant de côté pour le moment les aspects sociétaux :

-Il y a le chat domestique, familier, qui vit dans la maison ou le jardin, se nourrit d’aliments pour chat, a un propriétaire.

-Ensuite dans les chats sans propriétaires, il y a le chat errant qui va vivre dans le milieu urbain ou périurbain et qui va se nourrir quand même de ce que produisent les humains : les déchets, les poubelles, la bienveillance de certaines « dames nourricières » par exemple.

-Plus loin, vraiment en pleine nature, il y a les chats qu’on appelle harets [chats anciennement domestiqués, mais qui vivent désormais à l’état sauvage] : eux se nourrissent exclusivement de la chasse et de la petite faune sauvage, et vivent en milieu naturel.

Tous ces chats ont cependant en impact sur la faune sauvage. D’après la LPO, un chat domestique mange en moyenne 27 proies par an ; un chat errant, 273 ; et un chat haret, plus de 1000.”

Typologie sociologique des chats

“Maintenant regardons au niveau sociologique.

Parmi les chats rattachés à un foyer humain, il en existe deux sortes :

- Le chat casanier, qui reste ou est supposé rester dans la maison ou le jardin ; il a des jouets, des lits, il est très anthropisé, c’est un membre de la famille. Ses propriétaires considèrent que le chat doit être identifié, tatoué, référencé, mais aussi stérilisé : pour eux c’est un devoir éthique envers l’animal (ils considèrent que ne pas stériliser son chat est une forme de maltraitance — non pas tant pour le chat lui-même mais pour les petits chatons derrière qui risquent d’être errants et abandonnés).

- Le chat promeneur : pour les propriétaires de ces chats, il est extrêmement important que le chat soit libre de sortir de la maison et du jardin. C’est considéré comme un devoir éthique du propriétaire. En revanche, la stérilisation, le tatouage le plus sage, sont parfois considérés comme des maltraitances.

Pour un même type de chat rattaché à un foyer humain, vous voyez donc qu’en fonction des personnes, de leur sensibilité et de leurs valeurs, ce qu’ils vont considérer comme ayant une valeur positive ou négative n’est pas la même chose, voire est opposée.

Regardons maintenant les chats qui sont près des habitations humaines mais non-rattachés à un foyer humain, qu’on va appeler errants. Pour certains habitants et associations ce sont des chats en souffrance (pour causes de manque de nourriture, manques affectifs, maladies et maltraitance). Mais pour les élus locaux et d’autres habitants, ils représentent des sources de nuisances sonores et sanitaires.

De fait, le maire a obligation de retirer les animaux errants, dont les chats, de la voie publique pour les mettre en fourrière. Jusqu’à récemment cette mise en fourrière était suivie d’euthanasie si personne ne venait récupérer un animal. Il est également interdit, et ce depuis très longtemps, de nourrir les animaux errants sur la voie publique. Ceci dit — on ne le dit pas mais c’est sous-entendu, tout le monde le pense — les chats régulent les rats. On veut donc les gérer…mais pas trop.

Cette situation était intolérable pour un certain nombre de personnes qui aimaient les chats et qui voulaient nourrir les chats errants dans la rue. Cela s’est résolu d’une manière assez élégante et efficace par la création des chats libres et de l’Ecole du chat libre.”

Les Ecoles du chat libre

“De quoi s’agit-il ? Ce sont des vieilles dames du côté du cimetière Montmartre qui nourrissaient les chats, qui savaient que c’était interdit et que si elles le faisaient pas, la fourrière venait prendre les animaux et les euthanasier. Elles ont voulu changer les choses : en 1977, avec un groupe d’amateurs de chats, elles ont eu l’idée de prendre ces animaux, de les stériliser, de les identifier, ce qui faisait qu’il n’était plus errants, de considérer qu’elles en étaient en quelque sorte les propriétaires collectives, et de les remettre libres dans la rue. C’est ce qu’on a appelé l’école du chat libre, et cela a extrêmement bien marché. Après avoir commencé à Montparnasse, le mouvement s’est propagé dans beaucoup de villes de France. Presque toutes les villes de France aujourd’hui ont des Ecoles du chat libre.

Ce mouvement s’est accompagné d’une reconnaissance légale en 1999 : la loi reconnaît que ces chats libres peuvent être dans la rue sans devoir être pris en fourrière, et peuvent être nourris. Puis en 2014, la loi est allée plus loin : désormais le maire ne peut mettre les animaux en fourrière qu’en l’absence d’alternatives permettant de stériliser l’animal, de l’identifier et de le relâcher dans la nature.

Pour la petite histoire savez-vous pourquoi on appelle de la même façon fourrière pour les animaux et pour les voitures ? Parce que depuis très longtemps on ne peut pas laisser les animaux errants en ville ; or fut un temps où les animaux qu’on trouvait le plus étaient les chevaux qui tiraient les voitures. Aujourd’hui les fourrières pour animaux et pour voitures sont différentes mais ont gardé le même nom.”

Objectifs et obligations contradictoires

“Revenons au chat. En milieu naturel les experts vont l’appeler chat féral, de l’anglais feral cat. Pour les experts, les scientifiques, les gestionnaires de l’environnement, ce chat haret ou chat féral est d’abord un prédateur et une menace pour la biodiversité. Mais pour ceux qui ne les voient pas, parfois ignorent leur existence, ils voient d’abord en eux des animaux en souffrance, qui sont malades, qui n’ont pas de quoi manger…Ils parlent aussi beaucoup de manque affectif : cette idée qu’un chat a besoin de l’affection de ces maîtres et qu’il est sauvage et agressif parce qu’il est très malheureux. Ce n’est pas une idée qu’on retrouve beaucoup chez les biologistes ou les éthologues qui ont une autre vision des animaux sauvages, mais c’est celle qu’on trouve le plus fréquemment dans la population.

On a donc trois situations : chats errant, domestique, prédateur. Pour le chat errant, on veut le gérer, réduire les nuisances, le mettre en fourrière et ne pas le nourrir. Pour le chat domestique, ce qui est important est le bien-être du chat : on n’a donc pas le droit de lui faire du mal (il existe des peines d’amendes voire de prison). Pour le chat considéré comme un prédateur, il faut le contrôler pour préserver la biodiversité, avec une obligation forte, constitutionnelle, qui est le retrait — souvent un mot poli pour dire l’élimination et l’éradication.

Comme vous le voyez, ces trois objectifs et ces trois obligations sont assez contradictoires. Il n’est pas rare dans le droit d’avoir des injonctions contradictoires. Le droit va essayer de s’en sortir en vous aidant à identifier si le chat est errant, domestique ou prédateur.

Avec l’aide de juristes on a pu établir ce schéma. On voit que ce n’est pas simple.”

Les résultats d’un travail mené à Port-Cros

“Il existe donc différentes sortes de chats mais aussi différentes relations entre les humains et ces différentes sortes de chats. A partir de là, on a pu aller travailler et comprendre ce qui se passait dans le parc national de Port-Cros.

Le parc national de Port-Cros, le plus ancien parc marin de France, est composé de trois îles : l’île de Porquerolles avec une sur-fréquentation importante : de 100 personnes l’hiver, on passe à un million l’été ; l’île de Port-Cros avec 30 personnes l’hiver et 400 000 l’été ; et l’île du Levant avec 100 personnes l’hiver et 4500 l’été.

Sur l’île de Port-Cros on a une biodiversité endémique importante…et des chats. Parmi cette biodiversité endémique, il existe une espèce emblématique : le puffin Yelkouan, qui n’existe que là-bas.

Ces populations de puffins commençaient à décliner, et on soupçonnait les chats d’en être responsables. Il a fallu établir le rôle des chats dans ce déclin. On a étudié les fèces des chats pour comprendre ce qu’ils ont mangé (étude de Bonnaud et al. parue en 2007). L’étude montre que le chat mange essentiellement des rats mais aussi un petit peu de puffins : pas beaucoup mais puisque la population de puffins était de 80 couples, on s’est dit qu’il fallait absolument faire quelque chose, au risque d’aboutir à une extinction des puffins Yelkouan au fil des années.

Il a donc été décidé, comme un devoir moral et une obligation du gestionnaire du parc national, de retirer les chats. Il y avait à ce moment-là 60 chats harets dans l’île et 11 chats qui appartenaient à des propriétaires — les fameuses 30 personnes qui vivent là à l’année. Pour ne pas heurter ces propriétaires avec lesquels le Parc National voulait rester en bons termes, un grand effort de communication a été fait, avec des arguments scientifiques prouvant que les chats mangeaient les puffins et montrant l’importance patrimoniale des puffins s’ils disparaissaient de l’archipel de Port-Cros (il n’y en aurait plus ailleurs).

L’opération a été menée : on a retiré les 60 chats harets avec des pièges non-mortels, on les a observé par un vétérinaire, et proposé à l’adoption. Très peu de chats ont été euthanasiés (les plus malades ou les plus agressifs). Le retrait des chats harets a été complet et efficace : la reproduction du puffin Yelkouan a augmenté de 12 %.

Les 11 chats domestiques, eux, ont été identifiés, stérilisés et on a demandé à leurs propriétaires de les confiner dans le village, pour qu’ils n’aillent pas dans la partie sauvage de l’île.

Les habitants ont accepté le retrait des chats harets : pas du tout parce qu’ils ne voyaient pas de problème éthiques ou parce qu’ils ne les voyaient pas, mais parce que pour eux ces chats étaient en souffrance et qu’il valait mieux les faire adopter plutôt que les laisser malheureux et malades dans la nature.

Par contre, concernant leurs propres chats qu’ils avaient stérilisés et confinés, la décision a été mal acceptée. En réalité ces propriétaires se situaient tous dans l’éthique du chat promeneur, dans laquelle la liberté de circulation est très importante et où la stérilisation est vécue comme une maltraitance. Ils n’ont pas aimé les stériliser et ont encore moins aimé devoir les confiner, sans compter que c’était vu comme impossible.

Il y a donc eu ensuite moins de chats (ils n’ont pas renouvelé leurs chats, certains les ont même envoyé sur le continent) — aux dernières nouvelles il n’y en a plus que trois — et concomitamment une augmentation très importante de la population de rats, assortie d’un ressentiment envers le parc national, vu comme n’aidant pas la gestion des problèmes futurs et actuels comme la prolifération des rats.

***

Sur l’île d’à côté, l’île du Levant, la situation est très différente. C’est une île très particulière, avec une partie qui est un village naturiste où vivent 100 personnes l’hiver et qui monte à 4500 personnes l’été, et par ailleurs une base militaire où il y a 200 personnes.

Le naturisme, qui n’est pas le nudisme, est au départ un courant médical hygiéniste, ainsi qu’un courant anarchiste, un mode de pensée, avec véganisme, aucune drogue/alcool/tabac, exercice physique, vêtements au minimum, et une relation qui se veut plus proche de la nature.

Là-bas aussi il y avait des chats : 600 dans la partie civile, qui étaient considérés comme en souffrance pour les mêmes raisons (maladies, sous-nutrition, manque affectif), et une trentaine dans la partie militaire.

Dans la partie civile, à l’initiative d’une dame, a été créée une école du chat libre. Elle l’a fait pour éviter la souffrance de ces chats qui proliféraient. Cela a été compliqué parce qu’il fallait les amener sur le continent, payer le vétérinaire, sans aucun soutien financier mais avec beaucoup d’entraide.

Aujourd’hui il reste 200 chats, la population de chats est stabilisée, nourrie par la population de manière collective.

Dans la partie militaire, une dame qui a vu ce qui se faisait à côté a voulu faire pareil. Avec l’aide du réseau créé par la dame de la partie civile, elle a amené ses chats sur le continent se faire stériliser ; ils ont arrêté de proliférer et ainsi d’être maltraités. Là aussi, le système fonctionne uniquement avec de l’entraide, même si dans la partie militaire le système de nourrissage collectif est un peu différent (ce sont les autres militaires qui lui amènent de la nourriture pour chats, et elle qui la distribue aux animaux).

Sur l’île du Levant, la population de chats s’est stabilisée. Au lieu de créer des ressentiments s’est créé du lien social. Et les puffins Yelkouan sont en pleine forme : 800 oiseaux, plutôt en augmentation, au moment on a mené l’enquête. Enfin, en parallèle, il y a suffisamment de chats pour qu’il n’y ait pas de rats sur cette île.

C’est donc une situation très différente de l’autre île. »

Les éthiques environnementales aident à comprendre les contradictions dans la gestion du chat

A ce stade, un rapide point théorique s’impose pour comprendre la suite. Trois grands types d’éthiques environnementales ont été présentés dans un cours précédent. De façon très schématique :

  • L’anthropocentrisme : l’homme est le centre de toute chose. (plus précisément : la valeur morale des actions sur les non-humains est soumise à leur conséquences morales sur l’homme).
  • Le biocentrisme : tout être vivant a une valeur intrinsèque, une dignité morale, et il existe une égalité entre tous les êtres vivants, entre tous les êtres “sensibles”.
  • L’écocentrisme : la valeur intrinsèque est accordée non à des êtres séparés mais aux écosystèmes. [Pour plus de précisions, cet extrait de la page Wikipédia « Éthique de l’environnement » est intéressant : « Contrairement au biocentrisme qui est une éthique individualiste, l’écocentrisme est une éthique holiste. La valeur n’est pas attribuée aux êtres séparés, mais à l’ensemble au sein duquel les êtres sont interdépendants. Le philosophe Aldo Leopold, fondateur du concept, utilise l’image de la « montagne » pour symboliser cela : du point de vue de la montagne, les loups sont utiles car ils empêchent le surpâturage ; les chasseurs et les éleveurs ont donc tort de vouloir exterminer les loups, selon Leopold].

Reprenons ici le cours d’Anne Atlan : “On voit bien qu’à chaque fois, c’est l’humain qui met une valeur morale sur quelque chose.

Le biocentrisme revient à donner une égalité entre tous les êtres vivants. Mais on voit bien qu’entre un bébé et une salade, comme le dit [la philosophe] Virginie Maris, on a du mal à faire une équivalence. L’autre problème du biocentrisme est que cela protège des individus indépendamment de savoir si l’espèce est en voie de disparition ou en train de proliférer, si elle est importante au niveau fonctionnel ou pas, si elle est rare ou abondante…

La protection de la nature ne peut pas se faire uniquement au niveau des individus : elle doit prendre en compte des entités plus grandes comme les populations ou les espèces.

Une fois qu’on a intégré ça, on comprend beaucoup mieux d’où viennent les contradictions qu’on observe dans la gestion du chat.

En fait, le chat errant est géré avec une éthique anthropocentrée ; le chat domestique avec une éthique biocentrée ; et le chat prédateur avec une éthique écocentrée.

Ce qui est important à comprendre, c’est que dans les trois cas il y a bien une éthique qui est en jeu : autrement dit, à chaque fois il y a une volonté de faire le bien.

Mais ces éthiques sont donc différentes et parfois opposées, ce qui crée des conflits.

Ces conflits ont été assez bien résolus dans le cas de l’éthique anthropocentrée et biocentrée avec la création de l’école du chat libre, mais beaucoup plus difficile à résoudre en considérant à la fois les éthiques biocentrée et écocentrée : d’un côté on doit préserver le bien-être des chats et de l’autre côté les tuer pour protéger la biodiversité. C’est donc compliqué.

Le problème ne se règlera pas en argumentant, en disant « c’est important de protéger les puffins » ou « tu n’as pas le droit de faire de mal à ce chat » : ce n’est pas l’argumentation qui va compter, parce que chaque point de vue est fondé sur des valeurs différentes. Il faut prendre en compte ces valeurs pour arriver à trouver un compromis, un objectif commun, qui respecte chacune de ces valeurs.

C’est ce qui a été fait notamment à la Réunion — toujours sur la gestion du chat dans des espaces naturels protégés — pour le Pétrel de Barau, qui est une espèce d’oiseau endémique qui n’existe qu’à la Réunion et qui niche dans les hauteurs de l’île. Il n’y en a que 4000.

Comme les Pétrels de Barau sont menacés par les chats, un programme a été mené pour aller tuer les chats (qui ne sont pas adoptables car beaucoup trop sauvages).

Les conditions de travail étaient acrobatiques : il fallait y aller en cordes, en étant déposé par un hélicoptère, camper en bord de falaises, et en cas de pose de pièges, relever ceux-ci 24 heures après puisqu’il s’agit d’un animal domestique. Sans compter qu’on ne peut pas les tuer sur place : seul un vétérinaire a le droit de le faire ; il faut donc les redescendre à dos d’homme jusqu’en bas, les faire observer par un vétérinaire et enfin les euthanasier.

400 chats ont été retirés mais il en restait une dizaine qui risquaient donc de mettre en danger cette colonie de Pétrels de Barau et donc l’espèce au niveau mondial.

Par ailleurs les associations de protection des animaux (en l’occurrence la SPA et la Fondation Brigitte Bardot locale) s’émouvaient un peu de ces chats. Ils n’aimaient pas trop qu’on les tue mais ils pouvaient comprendre qu’on veuille sauver une espèce unique au monde.

En revanche, ils trouvaient très difficile le fait qu’on prenne les chats, qu’on les mette dans des cages, à dos d’hommes, qu’on les enferme, etc. Ils voulaient leur éviter des souffrances inutiles.

Tuer les chats sur place aurait été préférable en termes d’évitement de souffrance, mais ce n’est pas légal. Ce qui a été trouvé comme solutions, c’est de supprimer le délai d’observation par le vétérinaire et surtout d’utiliser des pièges létaux (le fait de faire rentrer l’animal dans un piège et de le tuer tout de suite).

C’est normalement absolument interdit en France pour un animal domestique. Ce qui est intéressant, c’est que ça a été fait à la demande de la SPA locale et de la Fondation Brigitte Bardot locale. Le préfet a émis un arrêté pour utiliser une dérogation, et ça c’est fait pour les derniers chats qui restaient. Aujourd’hui le parc national a le droit aussi de faire des arrêtés pour utiliser des pièges létaux, toujours de manière très ponctuelle, limitée dans le temps et dans l’espace.

Mais d’autres associations ont été contre : la Fondation Brigitte Bardot au niveau national, qui n’a donc pas suivi ce qui se faisait au niveau local, et One Voice qui est une fondation internationale et qui a fait un recours, qu’elle a perdu.”

La chasse aux chats en Australie

« Pour le reste de l’exposé je ne parlerai pas de mes propres travaux, du moins pas directement, mais ce que j’ai pu voir dans la littérature scientifique et dans les médias.

En Australie, les chats harets posent un vrai problème, comme beaucoup d’autres espèces. L’Australie est une île isolée qui a évolué indépendamment du reste, où il y a beaucoup d’espèces endémiques et où les introductions d’espèces peuvent faire beaucoup de dégâts.

Là-bas, les chats tuent chaque année 2 milliards d’animaux : surtout des petits mammifères mais aussi des oiseaux, batraciens, reptiles et insectes. Ils sont considérés comme responsables de la disparition de 22 espèces endémiques.

L’Australie a donc décidé de tuer ses chats autant que possible.

On a vraiment une chasse aux chats organisée en Australie avec des millions de chats tués chaque année par piégeage, empoisonnement ou par tirs [si utile, voici le lien vers l’article du NY Times dont est issue la photo].

Nous, ça nous choque, mais eux le justifient par des millions de petits mammifères et oiseaux sauvés. Il existe même des chasseurs de chats officiels, comme ce monsieur qui se vante d’avoir tué 1500 chats sur l’île australienne où il vit (Kangaroo Island, au sud-ouest d’Adélaïde).

Ce que je trouve intéressant, c’est qu’il est nommé « animal lover », amoureux des animaux, par un journal britannique qui a écrit sur lui. Alors que nous, ce n’est pas du tout comme ça qu’on le verrait !

Le fait qu’il se pavane avec toutes ces peaux de chat est un peu discutable, mais après tout si c’était des peaux de moutons…Au fond, ça nous choque parce que c’est un animal de compagnie domestique et qu’on n’a pas l’habitude de ça. Lui se définit comme un « hand-on environmentalist » [un « écologiste praticien, qui prend les choses en main, qui agit sur le terrain »].

A noter qu’il y a des solutions moins radicales que tuer les chats. Vous avez ici la grande barrière anti-chats d’Australie, la plus grande du monde, qui fait 44 000 km de long et dont les Australiens sont assez fiers. Elle a été construite par l’association Australian Wildlife Conservancy autour d’une réserve préservant la biodiversité des chats.

Ceci concerne donc les chats sauvages.

Concernant les chats domestiques, là aussi il faut faire attention. En Australie les gens sont incités à mettre en place barrières anti-chats, très efficaces, faites de rouleaux : lorsque le chat essaie de grimper, il n’y arrive pas.

Cela pose question aussi mais on considère que les chats non-enfermés (2,7 millions de chats, c’est à dire les 2/3 des 4 millions de chats domestiques) tuent 390 millions d’animaux par an.

Pour éviter de les tuer, les associations de défenses des animaux prônent le TNR : « Trap / Neuter / Return » qui veut dire « Capturer / Stériliser / Replacer ». Vous reconnaissez la logique de l’école du chat libre mais cette fois non pas appliqué à la ville mais au milieu naturel ou périurbain.

C’est vraiment considéré par beaucoup comme « la » bonne solution, ce qu’il faudrait faire. Et ce d’autant plus que certains disent que c’est mieux que les tuer, parce que si vous tuez les chats, d’autres vont venir, alors que si vous les stériliser, vous les relâchez dans la nature et à ce moment-là ils vont occuper l’espace et stabiliser la population. Certains exemples, comme celui que je vous ai donné sur l’île du Levant, montrent qu’effectivement ça peut marcher. Mais à quelle échelle, je ne sais pas.

Cette méthode est promue par les associations de défense des animaux. L’une d’entre elle écrit par exemple : « la TNR est la SEULE solution à long terme ; ce sont les humains qui ont créé ce problème et nous en tant qu’humain pouvons le résoudre » .

C’est un argument qui est un peu l’inverse de celui des espèces invasives. Les espèces invasives ont été introduites par les humains, donc n’ont rien à faire dans l’écosystème : il faut les y enlever. Ici, les chats ont été introduits par les humains et n’ont rien demandé, donc les humains sont responsables et il ne faut pas leur faire de mal. Et certains militent pour qu’on fasse attention à ces chats harets et qu’on ne les blesse pas.

Si on regarde la plus près de nous (elle montre une affiche de la LPO) on entend parler de solutions douces. On va trouver dans la littérature anglo-saxonne l’expression de « solutions plus humaines » mais je ne pense pas que ce soit très humain de stériliser de force. Ces « solutions douces » consistent, si vous avez un chat, à bien le nourrir pour limiter sa recherche de proies, à lui donner les jeux pour diminuer son instinct de chasseur, à l’empêcher d’aller à certains endroits, à lui mettre une clochette pour alerter la faune sauvage, et un tas d’autres systèmes qui sont tous illustrés par de charmants dessin…sauf la stérilisation qui n’est pas illustrée mais bel et bien recommandée. Or il y a quand même une certaine violence derrière le fait de stériliser de force un animal, un être sensible.”

Une panique morale vis-à-vis des chats ?

“Au niveau mondial on a tout de même aux États-Unis plusieurs centaines de milliers de chats stérilisés par an, plusieurs millions de chats tués en Australie, des éradications dans de nombreuses petites îles (on l’a vu à Port-Cros mais il y en a beaucoup d’autres)…

En conséquence certains chercheurs parlent de « panique morale » vis-à-vis des chats (article de 2019, lien pdf) :

Cette panique morale vient du fait qu’on est devant trois formes d’éthiques qui, dans le cas du chat, sont difficiles compatibles. On a bien trouvé le chat libre, mais comment aller plus loin ? Avec le chat libre, on peut dire qu’on a repensé la relation à l’animal ; peut-être faudrait-il repenser la relation à la nature.

Tout d’abord dans la manière dont on gère le sujet, c’est à dire intégrer les relations sciences — sociétés de manière bilatérale.

Si on revient sur notre cas en France :

-D’un côté, le parc national de Port-Cros, la LPO et les scientifiques veulent protéger la nature dans une éthique écocentrée et qui comprennent qu’il faut respecter l’animal de compagnie mais pas forcément ce que représente l’animal de compagnie ;

-D’un autre côté, les habitants, eux, veulent protéger en général les animaux (en tout cas quand ils en ont) dans une éthique biocentrée.

Il s’agit donc de discuter entre les deux plutôt que d’imposer une éthique ; essayer de comprendre les autres formes d’éthique ; et comprendre qu’entre les écologues, les institutions et la population on n’est pas dans les mêmes registres. Pour la population, les notions de « sauvage », « domestique », « endémique », « exotique » ne veulent pas dire grand-chose ; ils sont dans des usages plus que dans une gestion, ils ont une vision sensible plus qu’une conceptualisation.

Et certes l’éducation, l’acceptation, la participation est importante mais la prise en compte de la perception des contraintes et des valeurs aussi.

Enfin, c’est le plus dur, repenser les relations entre les humains et la nature, ce qui est aussi tout l’objet de cette chaire “Penser le vivant autrement”. On illustre généralement, pour montrer comment l’humain peut se sentir différent et supérieur vis-à-vis de la nature, cette peinture de Caspar David Friedrich, « Le Voyageur contemplant une mer de nuages ».

Cette peinture vient illustrer la dichotomie nature - culture de la modernité occidentale, avec une protection qui peut être vue sous la forme de la protection du patrimoine mondial de l’UNESCO, avec des effets positifs, une efficacité juridique et symbolique, mais qui véhicule l’idée d’une nature appartenant à l’homme.

Or il existe d’autres manières de voir la nature qu’on va trouver particulièrement chez les peuples autochtones [voir aussi le numéro #22 : Peuples autochtones et écologie, au-delà des idées reçues]. Vous voyez ici la Pachamama qui vient de la cosmogonie andine ; c’est une femme qui est à la fois humaine et nature.

Dans cette vision, l’humain, l’animal, l’écosystème sont une seule et même chose réunie dans une entité qui n’est pas tant naturelle que spirituelle. On peut s’inspirer de ce genre de choses, et de fait…c’est ce qui est fait [en partie]. Les grandes instances comme l’UICN (l’Union internationale pour la protection de la nature), le GIEC, et l’IPBES reçoivent des délégations de peuples autochtones, travaillent avec eux, essayent de s’inspirer de ce qu’ils font — en sachant que ce n’est pas parfait (eux aussi ont éliminé des animaux et il y a d’autres soucis), mais qu’ils peuvent nous amener à une autre façon de voir le monde qui résolve cette panique morale, ou du moins cette difficulté morale, dont on parlait. »

Pour aller plus loin

Parmi les différentes recommandations de lectures d’Anna Atlan (également autrice d’un roman auto-édité, Un chameau dans la tête ; “un livre que j’ai écrit sur les migrations de mes aïeux ; encore une histoire de de migration, cette fois d’humains, et de prise en compte de la pluralité de valeurs”) :

-“Sur les chats, vous n’allez rien trouver parce que les éthiques environnementales et les éthiques animales sont deux champs séparés. Mais on a écrit un article avec mes collègues, qui pour le moment est en cours de validation pour la revue Natures Sciences Sociétés”.

-“Toujours en Australie, vous avez la question du chameau : cette fois-ci ce n’est pas un problème de prédation mais de compétition pour la ressource en eau. Les Australiens ont éliminé des centaines de milliers de chameaux, avec donc d’autres justifications qui sont intéressantes à regarder”. Sur l’Australie encore, Le Monde a publié un article intéressant (pour abonnés) la semaine dernière sur “l’abattage de chevaux sauvages, symboles d’une bataille « pour l’âme » du pays”.

-“Le livre « La grande évasion » de Jacques Tassin (2014) qui, lui, défend les espèces invasives comme étant des espèces qui peuvent entrer dans un nouvel écosystème et qui ne sont pas forcément à contrôler, éliminer, éradiquer”.

-“Le livre « La part sauvage du monde » de Virginie Maris (2018) qui, elle, est plutôt pour le contrôle et le retrait des espèces invasives au nom de la préservation de la biodiversité mondiale, ce qui fait un pendant intéressant du livre précédent, et qui à la fin du livre présente une réflexion sur l’interventionnisme ou le non-d’interventionnisme en milieu naturel, en milieu sauvage, que je trouve très éclairante”.

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Pour compléter : le 4 septembre dernier, après plus de quatre ans de travail, l’Ipbes a publié l’évaluation la plus complète jamais réalisée sur les espèces invasives dans le monde (ici un résumé officiel en français). Elle montre que les espèces exotiques envahissantes jouent un rôle majeur dans 60% des extinctions de plantes et d’animaux dans le monde, et que plus de 37 000 espèces exotiques ont été introduites par l’homme dans des régions du monde entier. Retrouvez ici un compte-rendu en 5 questions-réponses réalisé par le Muséum national d’Histoire naturelle.

A noter cet éclairage intéressant du biologiste Franck Courchamp, auteur principal du rapport, dans un article publié par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité : “Je préfère parler du processus, c’est-à-dire des invasions biologiques, plutôt que de pointer les espèces exotiques envahissantes, qui ne sont que les vecteurs de ce processus. Parler systématiquement des espèces exotiques envahissantes plutôt que des invasions biologiques, c’est comme parler uniquement des bulldozers au lieu de déforestation, ou de gaz à effet de serre au lieu de changement climatique”. Autre point intéressant : “les espèces exotiques sont elles-mêmes des victimes. Elles ont été introduites dans des écosystèmes dont elles ne sont pas originaires. En général, une espèce sur dix parvient à s’établir, et parmi celles qui s’établissent, une sur dix devient envahissante.”

Pour lui, la meilleure des préventions reste la sensibilisation. “En Nouvelle-Zélande, tous les citoyens connaissent le concept d’invasions biologiques et peuvent citer de nombreux exemples. C’est bien moins vrai en Europe.”

Enfin, un dernier mot pour évoquer le sujet des espèces dites “nuisibles”. Une liste de ces espèces a été mise à jour l’été dernier par le gouvernement, ce qui a fait beaucoup parler, à juste titre. Le chercheur et écologue Nicolas Loeuille écrivait notamment dans une tribune au Monde que “le concept d’espèce utile ou nuisible est scientifiquement dépassé” : “une telle classification ne prend pas en compte la complexité des interactions entre les différents animaux”.

Il ajoutait : “Les scientifiques s’accordent à dire que l’effet d’une espèce sur une autre dépend du tissu local des interactions. (…) Comme ce tissu varie de lieu en lieu et dans le temps, il n’est pas possible de décréter la nuisibilité, ni même l’utilité d’une espèce de manière générale. La gestion des espèces ne devrait plus s’appuyer sur de tels principes dépassés et utilitaristes”.

C’était le 64e numéro de Nourritures terrestres. Les précédents sont tous accessibles sur ce lien. Vous pouvez soutenir mon travail sur ma page Tipeee ici (merci !). Le prochain numéro devrait paraître en décembre. A bientôt ! Clément

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