3 — Comprendre ce qui freine (et ce qu’il faudrait pour lever ces freins)
Cet article est la partie 3 (sur 5) du numéro “Comprendre les enjeux des technologies de capture et stockage du carbone” publié dans la newsletter Nourritures terrestres. Retrouvez les autres parties dans l’article principal.
Le frein majeur : des coûts massifs (et un manque d’incitations économiques)
La CSC est souvent très coûteuse car très gourmande en énergie, en particulier sur l’étape de capture (plus encore que sur l’étape de stockage) :
- Ajouter de la CSC à une centrale à charbon consomme aujourd’hui environ 1/4 de l’électricité produite par cette centrale, et fait passer son coût d’une cinquantaine d’euros par MWh à une centaine d’euros : le coût de l’électricité produite est multiplié par 2.
- Pour les centrales au gaz naturel, le chiffre passe d’environ 50 euros le MWh à environ 80 euros.
McKinsey précise aussi dans une étude sur la CSC que « certaines émissions, comme celles des usines d’éthanol, sont plus pures que d’autres et peuvent être captées à un prix relativement bas, pour environ 25 à 30 dollars la tonne. Pour les sources moins pures (centrales à charbon et gaz, production de ciment et d’acier…), les coûts deviennent plus élevés, allant de 60 $ à plus de 150 $ la tonne ».
Un problème de rentabilité pour les industriels
Le plus souvent « il est bien plus rentable de continuer de rejeter le CO2 dans l’atmosphère que de s’embêter à le capturer et à le séquestrer », explique Rodolphe Meyer. « L’opérateur d’une centrale fossile ne va pas spontanément multiplier par deux ses coûts de production pour notre plaisir. Et même si il le faisait, le jeu de la concurrence le ferait mettre la clef sous la porte, puisque d’autres centrales ne le feraient pas. »
Certes, la CSC a encore des marges importantes d’amélioration, notamment sur la capture : des investissements peuvent aider à réduire l’énergie nécessaire et le coût total de la CSC, et ainsi faciliter son déploiement. Mais ces investissements sont lourds et ne seront vus comme potentiellement rentables par les industriels que s’ils y sont (fortement) incités.
Un sujet politique
Voilà pourquoi « le déploiement de la CSC ne peut se faire qu’avec une intervention politique. Cette intervention politique peut prendre de nombreuses formes différentes: obligation pure et simple de capter et séquestrer la majeure partie des émissions dans les cas où c’est physiquement possible, subventions des technologies de CSC, taxe carbone suffisamment élevée, ou encore…une combinaison de ces approches ».
Rodolphe Meyer ajoute : « La plus grosse difficulté est de mettre en place le cadre politique pour gérer ce déploiement : aujourd’hui, qui est prêt à payer pour éviter d’émettre du CO2 ? Nos sociétés n’ont pas (ou mal) mis en place les mécanismes pour financer des mesures efficaces permettant d’éviter des émissions de CO2 ». Dès lors, dans la situation actuelle, c’est à travers les impacts du changement climatique que la société se retrouve(ra) à payer cher chaque tonne de CO2 émise.
Autres freins
Parmi les autres freins cités fréquemment, notons le besoin d’un cadre juridique clarifiant la responsabilité des opérateurs de sites de stockage en cas de fuites (plus cette responsabilité restera forte sur le moyen et long terme, plus les opérateurs seront réticents à s’engager dans cette voie, d’où leurs appels à ne pas partager seuls cette responsabilité), ou encore le besoin de renforcer les infrastructures de transport du CO2, qui constitue selon McKinsey « le maillon faible de la chaîne de valeur » (« aux États-Unis, environ 5 000 miles de pipelines transportent du CO2, contre 300 000 miles de pipelines de gaz naturel. En dehors des États-Unis, les pipelines pour le transport du CO2 sont rares »).
Par ailleurs, la plupart des rapports affirment que le défi de la CSC n’est pas technique, mais économique, juridique et réglementaire. Il semble pourtant, pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, que les échecs répétés du plus grand projet de CSC au monde à Gordon en Australie (lire partie “quelle tendance”) devraient inciter les défenseurs de la CSC à nuancer un minimum cette affirmation, quand bien même ce projet ne serait pas représentatif de l’ensemble.
Plus globalement, on sort de la lecture de certains rapports (comme celui de l’Agence Internationale de l’Energie) avec une désagréable impression de déséquilibre dans le jugement sur la capture de carbone (en général, au-delà de la seule CSC en sortie de production), dans lequel les défis et inconvénients sont parfois minorés. Il faut dire que les scénarios établis par les scientifiques servent désormais “d’arguments bétons” aux acteurs qui poussent particulièrement pour ces technologies, au vu de la place prise par celles-ci dans les modèles — un point sensible dont il est question dans la partie suivante.
→ Partie suivante : Que penser de la CSC ?