Pourquoi la ZAN est jugée insuffisante par les auteurs (…et ce qu’ils proposent à la place)

Nourritures terrestres
10 min readJan 28, 2023

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Cette partie est un extrait de l’article “L’artificialisation des sols pour les nuls” de la newsletter Nourritures terrestres.

En France, la loi pour contrer l’artificialisation s’appelle « zéro artificialisation nette » (ZAN) : à première vue, l’objectif paraît clair.

Mais ce nom peut être trompeur pour les non-initiés : tout comme l’objectif de « neutralité carbone » annoncé par certaines entreprises ne tient trop souvent qu’avec de larges doses de « compensation carbone », ici, la « zéro artificialisation » visée est dite « nette », car elle autorise des mesures de « compensation écologique » (ici on ne parle pas de planter des arbres ou d’achats de crédits carbone pour essayer de séquestrer du CO2, mais d’un travail porté localement par des écologues sur des milieux naturels pour les protéger ou les restaurer).

Autrement dit, « nette » sous-entend donc que l’artificialisation des sols peut se poursuivre en pratique, via la compensation (« sans que nous sachions encore vraiment comment » compenser, comme le souligne l’urbaniste Sylvain Grisot) ou bien via un certain nombre de dérogations pour des zones commerciales et entrepôts de e-commerce.

Comme si les choses n’étaient déjà pas assez compliquées, la compensation écologique dont il s’agit ici n’est pas la même que celle pratiquée d’habitude dans le principe « Éviter — Réduire — Compenser », dite séquence ERC, bien connue des porteurs de projets d’aménagement du territoire.

Pour le contexte, ce principe est déjà très contesté : comme l’écrivait en 2016 le chercheur spécialisé Harold Levrel, « il est difficile d’évaluer la réalité des efforts d’évitement et de réduction ». Certains projets dits de compensation ne donnent lieu en réalité à « aucun gain écologique » observable. Il enfonçait ensuite le clou : « on constate que tous les arrangements sont possibles en France en matière de compensation », dont de nombreux « petits arrangements réalisés sans transparence, et sans méthodes d’évaluation harmonisées ».

Cette fois-ci dans la ZAN, la compensation sera fondée sur une nomenclature spécifique qui échappe aux exigences de la séquence ERC. Compenser consiste ici à désartificialiser, c’est à dire mettre en place des actions de renaturation qui permettent de « transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé » (selon des critères définis ici).

En quoi cela pose problème

Les problèmes de cette compensation et notamment de cette « renaturation » sont vastes, écrivent les auteurs de l’essai « La ville stationnaire » :

-Sur l’objectif lui-même : à partir de quel seuil considère-t-on qu’un sol a retrouvé ses caractéristiques naturelles ? Et puisqu’il s’agit de processus long, à quel moment considérer qu’il y a bien eu renaturation : au déclenchement du dispositif, ou après un certain laps de temps ?

-Sur l’efficacité réelle des actions : les processus naturels restent mal connus et les dispositifs de compensation sont encore balbutiants et très, très loin d’avoir fait leur preuves…sans parler de leur mise en œuvre, souvent « très imparfaite » d’après Harold Levrel.

Et ce problème est encore plus important dans le cas d’un sol imperméabilisé (on y revient), pour lequel les actions de restauration « ne permettent pas d’aboutir à une restauration totale des fonctionnalités originelles du sol » (source).

-Sur le décalage entre plusieurs temporalités : cette logique « autorise à détruire maintenant, alors que les mesures de compensation prendront effet plus tard, sans garantie qu’elles fonctionnent réellement donc, mais aussi sans garantie de pérennité : les nouveaux milieux « naturels » nécessiteront souvent des dizaines d’années (ou plus) d’intervention humaine (suivi, gestion, etc.), or la responsabilité de la bonne exécution dans le temps par le porteur de projet n’est pas assurée ».

-Sur le stock disponible de terres à « renaturer », et les ordres de grandeur en jeu : « il va bien falloir trouver des espaces « candidats », or ici c’est le grand flou. Peu de candidats sont identifiés à ce jour. (…) Il est probable que le flux de compensation s’assèche vite. Même en réussissant à diviser par 10 — ce qui serait un tour de force — le flux d’artificialisation, il faudrait encore trouver, de manière pérenne, plusieurs milliers d’hectares à renaturer chaque année ; nul doute que le stock ne durera pas des décennies ».

-Sur l’équation économique : « qui prendra en charge les coûts de renaturation ? Les opérateurs rechignent déjà à assumer les coûts de dépollution (…). S’ils devaient prendre en charge directement les coûts de renaturation (et de dépollution s’il y en a), cela refroidirait fortement les ardeurs à étaler la ville, mais il est probable que de tels surcoûts engendreraient une levée de boucliers immédiate ».

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Soulignons que ces questions et inquiétudes sont partagées par de nombreux observateurs. Ainsi France nature environnement déplore que la compensation prévue dans la ZAN pour les zones commerciales « ignore totalement le fonctionnement biologique des milieux ». « S’il suffit de « renaturer » une zone équivalente, cela pourrait conduire, par exemple, à compenser la destruction d’une zone forestière par la création d’un champ de maïs — ce qui n’a évidemment pas le même effet d’un point de vue écologique. »

Plus généralement, écrivent les auteurs de “La ville stationnaire”, « pour prendre la mesure de la capacité de la puissance publique à ne surtout pas renverser la table, il n’y avait qu’à écouter le Premier ministre à la Convention des intercommunalités quelques mois après le vote de la loi Climat et résilience » :

(Propos de Jean Castex) « Le législateur ne dit pas stop à l’artificialisation ; [il s’agit d’abord de] réduire de moitié le rythme de progression de l’artificialisation [d’ici 2030]. (…) Nous serons toujours pragmatiques dans le temps et dans l’espace ; (…) vous trouverez toujours des ayatollahs, nous n’en faisons pas partie ».

Dès lors quelle contre-proposition ?

Dans la première partie du livre, les auteurs de « La ville stationnaire » montrent, chapitre après chapitre, que les exemples emblématiques et inspirants en écoconstruction ne suffiront pas à rendre la ville durable ; que certaines bonnes pratiques, comme le réemploi, « malgré l’implication d’acteurs engagés, mettront longtemps avant de décoller pour peser suffisamment » ; que la smart city a fait long feu ; et que la densification des villes ne peut pas être la (seule) solution pour mettre fin à l’artificialisation (“toute densification urbaine , sous prétexte de ZAN, n’est pas bonne à prendre” ; “franchi un certain seuil, la densité devient problématique” ; “passée une certaine hauteur, un immeuble ne peut pas être écologique” car “il y a une valeur limite aux formes urbaines élevées, du point de vue de l’énergie et des ressources” ; et autres raisons détaillées dans le livre).

Dès lors, après 209 pages, et après avoir pointé les limites de la ZAN, les auteurs mettent les pieds dans le plat…

La proposition générale

La voici : « Et si, au lieu de cibler la ZAN, c’est une ZAB, zéro artificialisation brute, c’est-à-dire zéro artificialisation « tout court », qu’il fallait mettre en œuvre ? ».

Autrement dit, il s’agirait de protéger « tous les sols, agricoles et non agricoles, qui seraient considérés comme une ressource rare et non renouvelable, un « bien commun » préservé pour les générations futures ».

« A l’échelle territoriale, tendre vers la zéro artificialisation brute est à terme incontournable : nous ne pouvons pas nous permettre de continuer indéfiniment à grignoter chaque jour des dizaines d’hectares de terres agricoles [70 à 150 hectares, selon les chiffres] » écrivent-ils.

« Une telle orientation permettrait de sortir de la logique du « tout-compensation », qui cautionne in fine un droit de faire, et systématiserait la logique d’évitement ».

Cette proposition impliquerait de « libérer la ville de l’injonction à la croissance », de « revisiter profondément l’aménagement du territoire », et de répartir « les populations, les services et les emplois ».

« Ainsi, nos villes pourraient devenir stationnaires, cesser de grignoter (à l’échelle annuelle), de dévorer (à l’échelle de quelques décennies) leurs terres voisines, en se concentrant sur elles-mêmes, sur leur renouvellement, leur densification — mesurée -, leur réparation — tant certains territoires, notamment les entrées de ville, les zones commerciales ou d’activités, certains quartiers…sont ravagés, au moins du point de vue urbain et esthétique ».

Face aux critiques

Les auteurs sont conscients de la levée de boucliers que provoquerait une telle orientation : « Une solution aussi hérétique (…) ne peut que faire hérisser le poil à tous les décideurs ». « On y verra le risque d’une baisse d’activité certaine » ; « on pointera le manque d’offres et l’augmentation consécutive du prix des logements et des loyers » ; « on s’inquiétera de pouvoir recruter des salariés dans les bons bassins d’emploi » ; etc.

D’ailleurs, ils reconnaissent que leur proposition est « un peu utopique pour l’instant » (certains diraient dystopiques). « Sans doute, sa mise en œuvre ne pourrait pas être aussi brutale et certaines exceptions devraient être faites, au moins dans les premiers temps ».

Il faut tout de même dire ici que de nombreux acteurs, à commencer par l’Association des Maires de France, sont déjà vent debout contre certaines modalités d’application de loi ZAN elle-même. Publiquement, chacun affirme partager l’objectif de la ZAN, mais quand on regarde précisément les propositions, elles reviennent pour une partie à vider le texte de sa substance, m’explique Rémi Guidoum de la FNH (qui précise : “la nécessité de lutter contre l’artificialisation semble faire consensus quand on lit les déclarations des différents acteurs. Néanmoins, quand on analyse précisément la proposition de loi déposée au Sénat en décembre 2022, on voit qu’une partie des mesures proposées réduiraient considérablement l’ambition de la loi Climat”).

Les critiques et opposants considèrent que le calendrier actuel est irréaliste voire que l’objectif lui-même est intenable, ou trop difficile à atteindre. Comme l’écrit Les Echos, les élus locaux sont « confrontés à une multitude d’enjeux parfois contradictoires : développer l’attractivité de leur territoire, créer des emplois, etc. Pour beaucoup d’entre eux, cette loi pourrait mener à la désertification des territoires ruraux, et profiter avant tout aux villes ».

De leur côté, les constructeurs disent alerter sur un risque de « blocage » et « flambée des prix » de l’immobilier à venir. Ainsi pour l’Unam, « ce texte va aboutir à construire moins, plus cher et plus petit dans des endroits où il n’y a ni la demande ni l’acceptabilité des citoyens, dans un contexte où il faudrait construire plus, plus vite et plus vert ».

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Pour autant, les auteurs de « La ville stationnaire » défendent leur proposition — qui est donc nettement plus exigeante (pas de compensation possible) — de plusieurs manières.

D’abord, « stationnaire ne veut pas dire figée. Il faudra utiliser certains gisements de densification, des friches urbaines déjà existantes ou à venir. Mais il s’agira aussi de répondre à la pression immobilière par une intelligence, une intensification dans l’usage des lieux existants, pour construire moins et mieux ».

Ils précisent qu’il « ne s’agit pas de réinventer, ou de fantasmer, la « ville idéale » qui ferait la « bonne taille », ou de revendiquer une stricte stationnarité démographique. (…) Il faudra faire avec l’existant, avec le déjà-là. La bonne taille, c’est celle dont on hérite. Nous devrons apprendre à prendre soin et transmettre notre héritage urbain ».

Ensuite et surtout, les auteurs préconisent de s’attaquer à un « paramètre qui ne fait aujourd’hui pas débat » et pourtant décisif : le volume à construire. « Dans les modélisations des documents d’urbanisme, les besoins en construction sont considérés comme un invariant structurel ». Si les mots varient, l’idée est toujours la même : « développer le territoire », « continuer la croissance de l’aire urbaine », etc.

« Or remettre en cause le volume à construire serait évidemment, et de loin, le levier le plus puissant ». « Se mettre sur la trajectoire d’une réduction forte de terres consommées par l’urbanisation sans toucher au volume de construction est un pari d’une incroyable complexité ».

Pour eux, il n’y aura pas d’autres choix que de « finir par construire moins », ce qui « facilitera le construire mieux et le rénover plus ».

Ils appellent notamment à « redéployer les moyens de tout le secteur de la construction neuve sur la transformation, la réhabilitation et l’entretien, pour entrer dans l’âge de la maintenance ».

En réalité la loi a déjà acté la réduction des volumes à construire

Les auteurs pointent une contradiction à laquelle il faudra bien s’attaquer :

« Selon les professionnels et les pouvoirs publics, il faudrait au bas mot construire 500 000 logements par an [« chiffre qui peut être discuté », m’indique Rémi Guidoum] — au lieu de 350 000 environ comme ces dernières années — faute de quoi « une crise majeure de l’offre » se profilerait. (…) Pourtant, nous avons bien « acté », à relativement bas bruit, une réduction très significative des volumes à construire à moyen terme » : en effet « la stratégie nationale bas carbone prévoit (presque) zéro émission dans le secteur du bâtiment ».

Pour arriver à ce quasi zéro émission (-95% en réalité), cette stratégie s’appuie certes notamment sur la décarbonation des énergies utilisées, et sur la rénovation thermique massive, mais aussi sur un ralentissement net de la croissance du parc : le rythme de construction neuve passerait de 324 000 logements en 2016 à 204 000 en 2050, avec une part de logement collectif passant de 61% (en 2015) à 75%.

Ils précisent que cette prévision de réduction n’est pas liée à l’évolution démographique, mais plutôt à la réduction des facteurs ayant tiré la croissance de la construction jusqu’ici — à savoir la décohabitation (réduction de la taille des ménages), l’augmentation des surfaces par personne, et l’augmentation du taux de vacance des logements.

Autrement dit : « nous avons officiellement « acté », dans nos lois et nos trajectoires de prospective publique, une double réduction : celle des volumes à construire (…) et celle des surfaces à artificialiser ».

Il va donc bien falloir s’y appliquer (et ce même si cette double réduction n’implique pas forcément, certes, une zéro artificialisation brute).

Et c’est ici qu’on entre dans le « comment faire »…à retrouver dans la partie suivante !

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