La voiture électrique est le nouvel emblème des fake news écologiques (et c’est un vrai problème)

Nourritures terrestres
22 min readSep 30, 2022

Avant l’été, je suis intervenu pour une émission sur les fake news liées au changement climatique. Entre autres choses (voir ici un résumé et ici des compléments) j’expliquais qu’aujourd’hui les fake news, plutôt que nier frontalement la réalité du phénomène climatique, tendent surtout à relativiser ses conséquences ou alimenter les controverses sur des pistes d’actions. Je citais en exemple l’éternel « débat », si français, entre « énergies renouvelables et nucléaire » qui cristallise les affirmations mensongères, inexactes, ou trompeuses (cf le numéro sur l’éolien).

Pourtant ces derniers temps un autre sujet a pris une ampleur inédite sur ce terrain des « fake news écologiques » : la voiture électrique. Plus que jamais, on assiste en ce moment à un « festival de contre-vérités » sur le sujet, remarque le chercheur Greg de Temmerman. « Je pense que la désinformation sur les véhicules électriques devient plus intense que celle sur le nucléaire ou les renouvelables » estime d’ailleurs Rodolphe Meyer de la chaîne de vulgarisation scientifique Le Réveilleur. Dans ce contexte de désinformation massive sur le sujet, qui devient préoccupant (et qui peut conduire à légitimer en creux des solutions qui n’en sont pas, comme la très fantasmée voiture à hydrogène), les spécialistes qui tentent de présenter les faits scientifiques semblent ramer à contre-courant.

(Image issue de la BD d’Anouk Ricard, Les Experts (en tout))

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Avant toute chose il est important de rappeler quelques « basiques » sur le sujet :

1/ C’est l’ensemble du cycle de vie du véhicule qui doit être considéré — phase de fabrication, d’usage, de fin de vie — et non pas seulement la phase d’usage. Il est donc tout à fait sain de dénoncer les communications problématiques de certains constructeurs sur le sujet : l’expression « zéro émission », souvent mise en avant dans les publicités, est trompeuse puisqu’elle se concentre uniquement sur la phase d’usage.

2/ La fabrication d’une voiture électrique a effectivement une empreinte carbone plus importante que pour une voiture thermique. C’est dû principalement à la batterie dont la fabrication est très gourmande en énergie et en ressources.

3/ L’empreinte carbone d’une voiture électrique varie nettement en fonction de la source de production électrique servant à fabriquer puis à l’usage à recharger la batterie : plus la production électrique est décarbonée (renouvelables, nucléaire), plus les bénéfices de l’électrification des véhicules sont importants.

4/ L’impact environnemental ne se limite pas au sujet de l’empreinte carbone. On en avait parlé dans l’article « Le piège de la focalisation sur le climat » ; plus précisément la voiture électrique suscite des interrogations légitimes (sur les pollutions, sur l’extractivisme, sur les ressources disponibles) …mais qui devraient conduire à certaines conclusions plutôt que d’autres (voir plus bas paragraphes « Qu’en conclure ? » et « Et donc que faire ? »).

5/ L’enjeu environnemental n’est pas le seul à prendre en compte : parmi les défis prioritaires sur le sujet, citons la contrainte géopolitique face à la dépendance aux métaux, l’impact économique sur la filière automobile, l’enjeu de justice sociale pour une mobilité accessible à tous, etc.

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Tout cela est souvent rappelé…mais trop souvent pour en tirer des conclusions trompeuses, fausses ou malhonnêtes.

Les affirmations problématiques viennent de toute part : de constructeurs automobiles, de médias (comme Charlie Hebdo ou Challenges), d’économistes (comme Christian Saint Etienne ici), de personnalités politiques (comme Laurent Wauquiez ici ; mais aussi…Sandrine Rousseau ici) ; etc. Le tout alimenté et nourri sur des plateaux tv par des éditorialistes et chroniqueurs vent debout contre la voiture électrique ou simplement alimentant les confusions. Dans l’autre sens, certains promoteurs de l’électrique ont contribué aussi au problème, par des formules exagérées (“Tesla is to protect life on Earth” d’Elon Musk) ou de nature trompeuse (Nissan parlant de “crossover électrisant” pour désigner une voiture hybride), alimentant en retour des réactions épidermiques.

Comme un certain nombre d’observateurs je pense aussi qu’en France le journaliste Guillaume Pitron, très médiatisé, porte sa part de responsabilité dans la confusion qui entoure les « technologies bas carbone » (voiture électrique, éolien, photovoltaïque), en ayant donné si souvent l’impression que ces technologies ne sont pas plus intéressantes pour le climat que celles fonctionnant aux énergies fossiles. « Une voiture électrique pollue presque autant qu’un diesel sur tout son cycle de vie » affirmait-il par exemple en 2018 — on reviendra là-dessus plus bas.

Nous ne sommes pas aidés non plus quand certaines « figures » des questions environnementales colportent des contre-vérités sur le sujet, même sans le vouloir. Ainsi l’ingénieure géologue Aurore Stéphant, très intéressante au demeurant (le numéro sur les métaux lui était d’ailleurs en partie consacré), s’est trompée dans son interview à Thinkerview sur le sujet de l’empreinte carbone de la voiture électrique (« le véhicule électrique émet deux fois plus de CO2 qu’un véhicule thermique si on prend en compte sa fabrication », disait-elle, ce qui est absolument faux, comme on le verra plus bas). Même si elle a reconnu son erreur a posteriori, le dommage est réel, comme on a pu le constater par la suite ; à l’heure actuelle la vidéo de son interview cumule d’ailleurs près de 2 millions de vues.

De même Jean-Marc Jancovici affirmait en juillet 2019 dans une interview qu’« électrifier les véhicules n’économise pas d’émissions tant que la production électrique comporte toujours 40% de charbon », ce qui ne correspond pas aux résultats des travaux sur le sujet, comme montré là aussi plus bas. Cela l’amenait à dire que « ce n’est donc pas la manœuvre prioritaire au plan mondial », ce qui est extrêmement contestable.

De façon générale, la qualité du débat public sur la voiture électrique, déjà (particulièrement) mauvaise, semble se dégrader depuis quelques temps — en particulier depuis la confirmation que l’Europe interdira les ventes des véhicules neufs à moteur essence ou diesel à partir de 2035 (décision dont les constructeurs de voiture de luxe ont d’ailleurs réussi à être exemptés dans certains cas, grâce à l’appui de l’Italie où le « ministre de la transition écologique » est lui-même un ancien membre du conseil d’administration de Ferrari).

Depuis lors, le front « anti-voiture électrique » se déchaîne pour dire tout le mal qu’il pense de cette décision, et ce même si l’Europe n’est absolument pas la seule à avoir pris cette décision (la Californie, plus grand marché des Etats-Unis, a fait le même choix, et le Royaume-Uni, Singapour et Israël ont pris des décisions similaires).

Le problème est que le discours « anti-voitures électriques », hormis dans certains rares cas où il met l’accent fortement sur la sobriété et les transformations structurelles, a tendance à servir les intérêts des acteurs qui défendent le statu quo sur le plan climatique, à commencer par les acteurs des énergies fossiles. L’histoire se répète d’ailleurs en quelque sorte puisque “la voiture électrique a failli supplanter le moteur à explosion au début du XXe siècle, mais c’était compter sans le lobby de l’industrie pétrolière”, racontait en juin dans le Monde l’économiste Pierre-Cyrille Hautcœur (qui m’apprenait au passage qu’« en 1905, la moitié du parc automobile mondial était électrique »).

Pointer du doigt les limites d’une « solution » est une chose mais dénigrer de façon trompeuse une brique indispensable du puzzle — certes bénéfique uniquement sous certaines conditions — en est une autre. Or la frontière peut être mince entre les deux.

Prenons justement le cas des fake news courantes sur le sujet.

« En France la voiture électrique n’est pas plus avantageuse pour le climat » = fake news n°1

Aurélien Bigo est l’un des chercheurs de référence en France sur la transition énergétique des transports. Son propos est très clair : « l’électrification est INDISPENSABLE pour atteindre nos objectifs climatiques ».

En France, écrit-il, « la voiture électrique permet dès aujourd’hui de diviser par 3 les émissions de gaz à effet de serre, en comparaison avec une voiture thermique ».

Plus précisément, le cabinet de conseil Carbone 4 a évalué qu’« il faut rouler autour de 30 à 40 000 km (soit 2 à 3 ans d’utilisation pour un usage moyen) pour que la voiture électrique devienne meilleure pour le climat que son équivalent thermique “hybride léger” ». Cela tombe bien : une voiture « parcourt en moyenne de l’ordre de 200 000 km sur sa durée de vie ».

De façon générale, Aurélien Bigo souligne que « dans les scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME [construits pour atteindre la neutralité carbone en France en 2050], l’électrification apparaît comme un incontournable pour décarboner les véhicules légers, quel que soit le scénario, du plus sobre jusqu’au plus technologique ».

Cette analyse rejoint d’ailleurs ce qu’écrit le GIEC lui-même dans son dernier rapport (volet n°3) : « Les véhicules électriques alimentés par de l’électricité bas-carbone offrent le principal potentiel de décarbonation des transports terrestres » (résumé pour décideurs, paragraphe C.8).

« La France est un cas particulier puisque son électricité est bas carbone : ailleurs en Europe, la voiture électrique est une arnaque » = fake news n°2

Le constat est le même quasiment partout en Europe, même dans les pays où l’électricité n’est pas aussi bas carbone qu’en France : la voiture électrique est moins coûteuse en CO2 que la voiture thermique sur tout son cycle de vie.

Plus précisément, « avec le mix électrique européen, qui comprend encore un grand nombre de centrales à charbon, une voiture électrique est plus respectueuse du climat à partir de 100 000 kilomètres environ » estime le chercheur suisse Christian Bauer, spécialisé sur le sujet. Bien sûr tout dépend du pays : « en Suisse, où l’électricité provient principalement de centrales hydrauliques et nucléaires, cela se situe entre 20 000 et 50 000 kilomètres », c’est-à-dire le même ordre de grandeur que pour la France.

Le seul cas où les résultats diffèrent selon les études est celui de la Pologne, où le charbon domine la production électrique. La source de l’image ci-dessus l’exclut des pays européens où la voiture électrique est plus avantageuse en termes d’émissions ; mais différentes études affirment l’inverse (cf image ci-dessous). Tout dépend des hypothèses et paramètres retenus pour les calculs.

Le cabinet Carbone4 estime lui aussi, à l’issue de son analyse, que la voiture électrique est plus avantageuse y compris en Pologne.

Ce résultat se retrouve également en utilisant ce très bon outil, qui permet de tester différents paramètres pour comparer voiture électrique et thermique sur le plan des émissions. A noter d’ailleurs qu’il existe depuis cette semaine un autre bon outil, fondé sur les calculs de Carbone 4 en les exposant de manière interactive, développé en open source par l’entrepreneur français Patrick Nollet (merci à lui).

« Hors d’Europe, la voiture électrique est souvent moins bonne pour le climat que la voiture thermique » = fake news n°3

Un travail paru en 2021, mené par l’association ICCT, donne le résultat suivant :

« Même pour les voitures immatriculées aujourd’hui, les véhicules électriques ont de loin les plus faibles émissions de GES sur l’ensemble du cycle de vie. (…) Leurs émissions sont aujourd’hui déjà inférieures de 66 % à 69 % en Europe, de 60 % à 68 % aux États-Unis, de 37 % à 45 % en Chine et de 19 % à 34 % en Inde à celles des voitures à essence comparables.

En outre, à mesure que le mix électrique continuera de se décarboniser, l’écart augmentera considérablement si l’on considère les voitures qui devraient être immatriculées en 2030 ».

Pour ceux que ça intéresse, l’image ci-dessous propose un récapitulatif en une image (légende : ICEV = véhicules à essence ; BEV = véhicules électriques) :

Ces résultats sont corroborés par d’autres analyses.

Carbone 4 aboutit ainsi à la même conclusion : « Même lorsqu’elles sont rechargées à partir d’un mix électrique dominé par le charbon, comme en Australie et en Chine, les émissions des voitures électriques sont dès aujourd’hui inférieures à celles des voitures thermiques sur leur cycle de vie. Les voitures électriques sont déjà meilleures pour le climat que les voitures thermiques dans la plupart des pays du monde ».

Carbone 4, qui semble s’appuyer sur des hypothèses plus conservatrices que l’ICCT, précise que certaines exceptions s’appliquent à son résultat : « Dans une vingtaine de pays seulement, la voiture électrique est moins vertueuse [dans leur étude] que la voiture thermique (en supposant que le mix électrique ne change pas). Il s’agit de l’Inde, de certains pays d’Afrique et du Moyen Orient, et de pays insulaires tels que Cuba, Haïti ou l’Indonésie. ». Le cas de l’Inde ne fait donc pas consensus à l’heure actuelle puisque l’ICCT aboutissait à un autre résultat.

Mais de façon générale, « la quasi-totalité des pays ont pour objectif de décarboner leurs mix électriques au fil du temps, donc d’ici à la fin de vie du véhicule. » : la tendance est donc très claire. Le GIEC tend d’ailleurs vers les mêmes conclusions dans son dernier rapport (groupe 3) concernant les avantages de la mobilité électrique pour « réduire rapidement les émissions du transport » et « engendrer de multiples cobénéfices » au-delà de l’enjeu du carbone. Le GIEC précise que ces avantages sont d’autant plus valables que l’électricité est bas carbone, mais ajoute justement que « les systèmes électriques alimentés par des énergies renouvelables deviennent de plus en plus viables et sont déjà prédominants dans certains pays et régions ».

Autrement dit, comme le dit l’expert Nicolas Goldberg, gare à la « vision trop statique : un mix énergétique évolue. Si on attend qu’un mix électrique soit décarboné pour enclencher séquentiellement la mobilité électrique, ça n’ira jamais assez vite ».

« Avec une vision systémique, on s’aperçoit que la voiture électrique n’a pas d’intérêt pour l’environnement par rapport à la voiture thermique » = très contestable

Peut-on donc dire que la voiture électrique est écologique ? Et vertueuse ? Non dans les deux cas, puisqu’aucune voiture n’est propre ni « vertueuse ». Pour autant, même si une vision systémique au-delà du seul enjeu climatique est toujours préférable, attention à ce que cette approche ne conduise pas à tout mettre sur le même plan.

Je ne saurais dire si la voiture électrique est au global « plus intéressante pour l’environnement » que la voiture thermique. Dans sa vidéo sur le sujet, Rodolphe Meyer dit estimer que oui, et j’ai toujours trouvé que ses analyses étaient de très bonne qualité. Ceci dit la réponse à cette question dépend de tant de paramètres que je préfère ici éviter toute affirmation tranchée (si tant est qu’il est possible d’avoir une réponse “objective” sur le sujet). En revanche en parler comme d’une arnaque environnementale, comme on l’entend fréquemment, me semble malhonnête et faux.

Le chercheur Aurélien Bigo résume bien les choses de cette façon :

« 🟢 La voiture électrique apparaît plus vertueuse que la voiture thermique sur :

👉 L’impact climatique [cf points précédents] ;

👉 La pollution de l’air [la voiture électrique réduit très peu les émissions de particules fines mais élimine totalement les émissions de polluants à l’échappement] ;

👉 La pollution sonore [nettement « diminuée par les véhicules électriques » même si elle ne disparaît pas totalement] ».

D’autres avantages pourraient sans doute être cités, comme par exemple ce « bénéfice caché » pour reprendre les mots d’une étude de 2015 : les véhicules électriques réduiraient le phénomène d’îlots de chaleur urbains par rapport aux véhicules thermiques. L’étude menée à Pékin montre en effet que les véhicules électriques émettent à peine 20% de la chaleur totale émise par les véhicules thermiques. « Remplacer les véhicules utilitaires légers par des véhicules électriques pourrait atténuer l’intensité de l’îlot de chaleur estival de presque 1°C et réduire la quantité d’électricité consommée quotidiennement par les climatiseurs des bâtiments de 14 millions de kWh ».

« 🟡 En revanche, la voiture électrique ne change (quasiment) rien sur :

👉 La consommation d’espace : en stationnement, congestion, impacts des infrastructures sur la biodiversité, pollution visuelle… ;

👉 L’inactivité physique, qui cause d’importants problèmes de santé ;

👉 L’accidentologie [NB : une étude plus récente indique cependant que la voiture électrique provoquerait aujourd’hui 50% de collisions en plus, principalement en raison du phénomène d’accélération plus rapide auquel les conducteurs ne sont pas encore habitués au moment d’appuyer sur la pédale] ;

👉 Et reste coûteuse financièrement » (plus précisément : elle implique aujourd’hui « un coût plus élevé à l’achat », encore trop élevé pour la plupart des ménages, « avec des coûts d’usages ensuite bien plus faibles ») ce qui pose un enjeu de justice sociale.

« 🟠 Enfin, la voiture électrique pose des défis nouveaux, surtout :

👉 Sur la consommation de certains métaux, et les pollutions et vulnérabilités qu’ils engendrent ».

…sujet qui en couvre beaucoup d’autres, pour certains évoqués dans le numéro sur les métaux (et qui pose, entre autres, la question de la réouverture de mines en Europe). D’après l’Agence internationale de l’Energie, en moyenne une voiture électrique utilise 6 fois plus de métaux considérés comme critiques qu’une voiture thermique. Attention cependant aux caricatures : ne faisons pas comme si les problèmes de l’extractivisme n’existaient pas avant la voiture électrique. Comme l’écrit Carbone 4 : « Les problèmes spécifiques aux minerais pour les batteries doivent être mis en regard des controverses qui portent sur l’industrie pétrolière. Les marées noires et les atteintes aux droits de l’homme, en plus des conflits armés qui ont émaillé l’histoire du pétrole, sont le triste rappel que les véhicules thermiques, aussi, dépendent d’une activité extractive problématique ».

👉 On pourrait aussi ajouter, en termes de défis :

- celui des impacts sur l’emploi puisque l’industrie automobile devrait souffrir du passage à l’électrique. Fabriquer une voiture électrique nécessite environ 40% de main-d’œuvre en moins que pour une voiture thermique. Tous les employés des acteurs des véhicules thermiques ne pourront pas basculer dans l’électrique.

Le représentant des industriels de l’automobile en France, Marc Mortureux, explique : « Aujourd’hui on estime que 60 000 emplois sont menacés très directement par la fin des moteurs thermiques, contre un potentiel de création de 30 à 35 000 emplois côté électrique en prenant en compte les infrastructures. Je n’en fais pas un argument pour dire qu’il ne faut pas le faire, mais pour dire qu’il faut accompagner massivement l’ensemble de ces salariés, et créer des passerelles vers d’autres métiers. Le paradoxe est qu’on a par ailleurs actuellement des difficultés pour attirer des compétences dont on a besoin malgré tout aujourd’hui. C’est donc un équilibre complexe. »

- celui des infrastructures puisqu’on voit mal comment les véhicules électriques seront acceptés sans développement massif de bornes de recharge sur tout le territoire.

Ceci dit, les choses ont l’air d’avancer réellement à ce sujet :

Et concernant les autres fake news sur le sujet…

Bien d’autres fake news circulent sur le sujet. L’une des plus répandues concerne les fameuses « terres rares », si souvent confondues avec les « métaux rares ». En réalité, aujourd’hui il n’y a pas de terres rares dans la majorité des batteries qui équipent les voitures électriques ; les « terres rares » ne sont pas franchement rares sur le plan physique (« il y a mille ans de ressources en terres rares au rythme actuel de consommation » selon l’ingénieur géologue Christian Hocquart) ; et elles sont déjà très utilisées, sans que cela ne fasse grand bruit, pour les pots catalytiques des voitures…thermiques.

Quant au recyclage des batteries, « contrairement à une idée reçue courante, les batteries lithium-ion sont recyclables, actuellement à hauteur de 50%, et potentiellement jusqu’à 80–90% avec de nouveaux procédés », écrit Carbone 4 (attention cependant, « recyclable ne veut pas dire recyclé : actuellement moins de 5% des batteries lithium-ion en fin de vie le sont »).

Pour découvrir d’autres fake news sur la voiture électrique et comprendre le vrai du faux, je vous renvoie vers trois ressources essentielles : (1) la vidéo de Rodolphe Meyer de la chaîne Le Réveilleur qui compare les impacts environnementaux de la voiture électrique et de la voiture thermique (texte et source disponible dans le descriptif sur Youtube); (2) son autre vidéo centrée sur les batteries (même remarque) ; (3) le « debunkage » de Carbone 4 sur les impacts carbone et hors carbone, économiques, géopolitiques…

Sur le sujet de la décarbonation des transports, les travaux d’Aurélien Bigo sont incontournables. Enfin, sur les questions de décarbonation et transition énergétique, suivre le chercheur Greg de Temmerman sur Linkedin ou Twitter est toujours une bonne idée (sur le véhicule électrique exemple ici ou bien ici ou encore ici).

Qu’en conclure ?

Le fait que le véhicule électrique puisse être considéré comme problématique à certains égards n’est pas en cause ici. Il y a bien des critiques légitimes à formuler sur son impact écologique. Reporterre l’a fait dans une enquête à charge avec certaines idées intéressantes (malgré d’autres arguments critiquables). Et cette semaine encore, une nouvelle étude montrait qu’entre 336 et 384 nouvelles mines de graphite, de lithium, de nickel et de cobalt seront nécessaires pour répondre à la demande de véhicules électriques d’ici 2035. Il est évident qu’on ne peut pas parler de « voitures propres » dans l’absolu à leur sujet et qu’il ne s’agit pas de la solution miracle à la transition écologique telle qu’elle a pu être présentée par certains acteurs.

Le problème est plutôt le suivant :

1/ Un grand nombre d’argumentaires s’appuient sur des contre-vérités ou des éléments trompeurs, conduisant à délégitimer le véhicule électrique sur des mauvaises bases (dans un contexte où son image était déjà très écornée dans l’opinion publique). Or Aurélien Bigo le dit sans détours : « être contre l’électrification, c’est être contre l’atteinte de nos objectifs climatiques ». En revanche il est clair que pour atteindre nos objectifs climatiques, l’électrification ne peut pas être la seule action à entendre en termes de mobilité, puisque « même un facteur 3 de division des émissions n’est pas suffisant ». De même, comme le dit à Reporterre Stéphane Amant du cabinet Carbone 4 : « Les tanks électriques qui pèsent deux tonnes n’ont rien à voir avec l’écologie. La mobilité électrique ne peut pas remplacer la mobilité thermique avec les mêmes usages. On ne pourra pas y arriver sans sobriété. »

2/ Le débat a tendance à se focaliser uniquement sur le sujet de l’électrique alors que « ce qu’il faut questionner, c’est bien davantage la VOITURE que l’électrique », estime Aurélien Bigo, comme beaucoup d’autres observateurs :

L’éléphant dans la pièce, c’est bien la voiture.

C’est sa place, son automatisme, sa prédominance dans la mobilité, qui doivent être repensées (et d’autant plus quand on adopte une point de vue féministe sur le sujet), mais aussi, ses dimensions, son poids, sa puissance.

Et donc que faire ?

« Réduire et optimiser l’usage et le dimensionnement de la voiture » : voilà la direction à prendre selon Aurélien Bigo (et de nombreux spécialistes), outre l’électrification.

« Comment ? Par (1) la réduction des distances et des déplacements, (2) le report vers les transports en commun et le vélo, (3) le covoiturage, (4) et le développement de véhicules bien plus légers et sobres ».

Evidemment ceci suppose des transformations en termes de réaménagement du territoire, d’infrastructures de mobilité bas carbone, de relance du commerce de proximité, de regard social, d’habitudes, de réglementations, d’outils industriels, etc.

Sur l’enjeu de la réduction des distances, l’animation vidéo suivante (réalisée par cet internaute à partir des chiffres de la thèse d’Aurélien Bigo) apporte un regard historique éclairant. Elle retrace 200 ans d’évolution des distances moyennes parcourues en France (plus d’infos ici) :

Une question de poids

Parfois oublié du débat, le sujet du redimensionnement et du poids des véhicules est clef.

Le lien entre le poids et l’impact environnemental de la voiture est largement reconnu mais peine encore à trouver sa place dans le débat public et dans les avancées concrètes.

Au-delà de l’environnement, c’est aussi un sujet de sécurité routière : des études montrent une corrélation entre la taille des voitures et la prise de risques au volant. Les plus grosses voitures donneraient à leurs conducteurs un sentiment de sécurité qui les amènerait à prendre plus de risques.

Comme me le dit le consultant spécialisé Stéphane Schultz, de l’agence 15marches : “le poids est un proxy pour tous les autres sujets : énergie, fabrication, encombrement, vitesse, sécurité (pour les autres usagers de la route)”.

Le danger serait donc de répliquer le modèle du SUV thermique en passant à l’électrique : ce serait « l’exemple parfait de la « fausse bonne idée » », comme l’écrit Carbone 4.

Dans une table ronde sur le futur de l’automobile, Delphine Batho expliquait récemment que « quand on regarde l’histoire, on est passé de politiques publiques en politiques publiques qui ont encouragé un effet pervers après l’autre, en l’absence d’approche globale ». « Par exemple, on a incité les Français, avec le Grenelle de l’environnement, à acheter des véhicules diesels. On a massivement encouragé la dieselisation du parc. (…) Aujourd’hui si la logique est le soutien massif à l’électrique sans se poser la question de la taille de la voiture, on fabrique un autre effet pervers. (…) Il faut lever l’énorme tabou sur le poids des véhicules, sur l’aérodynamisme, et donc sur l’imaginaire de ce qu’est un véhicule souhaitable. »

« La question du poids est donc centrale », insiste-t-elle. « Il faut en finir avec cette logique des 10kg supplémentaires par an depuis 50 ans pour les voitures. »

Même le représentant des industriels de l’automobile en France, Marc Mortureux, plaide pour « une réglementation plus forte pour encourager économiquement à construire des voitures moins lourdes. C’est une évidence qu’il faut réussir à aller vers une baisse de la masse des véhicules. »

Delphine Batho explique que « le modèle de la grosse voiture fabriquée par les constructeurs historiques allemands a bénéficié de la réglementation européenne sur le CO2 : celle-ci plombe ceux qui avaient historiquement des parcs automobiles avec des modèles plus petits. Or l’histoire de l’industrie automobile française est celle de l’imaginaire de la petite voiture : la R5, la 205, etc. C’est pourtant le modèle de la voiture lourde qui s’est imposé, en bénéficiant de cette réglementation et d’une logique économique et industrielle qui est celle de la marge : la fuite en avant vers la SUV-isation du marché est aussi une logique de dégagement d’une marge supplémentaire. Très clairement il faut changer le cadre européen actuel sur les règles concernant le CO2 pour l’automobile, sinon on ne s’en sortira pas. Même si on met en France un malus sur le poids des véhicules, avec cette règle du jeu européenne il y aura clairement un problème. »

Le futur de la mobilité électrique sera-t-il l’inverse de la Tesla ?

Plus globalement, explique Aurélien Bigo, « la voiture possède généralement 5 places, peut aller jusqu’à 180 km/h, pèse de l’ordre de 1,3 tonne, alors que les usages les plus fréquents sont pour une seule personne, sur des routes limitées à 80 ou 90 km/h maximum (plus rarement jusqu’à 130 km/h), pour des distances de quelques kilomètres à quelques dizaines de kilomètres.

(…) Il faut donc développer à l’avenir des véhicules bien plus sobres, c’est-à-dire plus petits, légers, moins puissants et moins rapides, plus aérodynamiques, avec une autonomie limitée… ce qui est à l’opposé des tendances actuelles, marquées par des véhicules électriques lourds (comme les SUVs) qui ne répondent à aucun des critères vertueux cités plus haut. »

Concrètement, « il s’agit plus globalement de développer des véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture, qui vont du vélo à assistance électrique (VAE) à la mini-voiture (du type Renault Twizy ou Citroën Ami), en passant par les vélos pliants, les vélos cargos, les speed-pedelecs (vélos assistés jusqu’à 45 km/h)… ».

Cette vision est soutenue notamment par l’analyste Horace Dediu, auteur d’un court “Manifeste pour les micromobilités”, analysé ici par Stéphane Schultz.

En la matière, la Chine semble être pionnière sur le front de la réinvention de la voiture, à en croire cet article (en anglais) qui m’avait interpellé à sa sortie en 2021. Intitulé « La route vers l’électrique est remplie de petites voitures » et sous-titré « Oubliez Tesla : en Chine, des millions de personnes adoptent de petites voitures sans marque », il expliquait qu’une « économie de la petite voiture », ou de la « voiturette », se développait là-bas en profitant de zones grises de la réglementation.

Sur le même sujet, un article de 2020 de Gabriel Plassat, cofondateur de La Fabrique des Mobilités, intitulé « Quand le véhicule électrique sera une commodité », présentait une vision prospective fascinante. En deux mots : l’électrification, en supprimant la principale barrière à l’entrée de l’industrie automobile qu’est le moteur thermique, constitue une rupture et ouvre la voie à l’émergence d’ovni roulants électriques proposés par de nouveaux types d’acteurs, qui pourraient s’appuyer sur le principe de « véhicules open source ».

En attendant, de plus en plus d’usagers estiment que le vélo cargo électrique pourrait devenir l’un des piliers du futur de la mobilité, et notamment de la distribution en ville : une étude démontre que les vélos cargo électriques livrent en moyenne 60 % plus rapidement que les camionnettes dans les centres-villes, tout en réduisant les émissions de CO2 de 90% par rapport aux camionnettes diesel et d’un tiers par rapport aux camionnettes électriques.

Face au scepticisme, ce commentaire lu sur Twitter en réponse à un internaute critique me semble très juste : « Plus de la moitié des déplacements en voiture en ville font moins de 5km. C’est donc une solution pour beaucoup de gens. Il n’est pas question de privilégier une solution mais de les multiplier pour répondre à des besoins différents. Que celle-ci ne vous concerne pas ne la rend pas inutile ou insuffisante. Ainsi redéployer des lignes de train ne correspond pas [aujourd’hui] à mes besoins, mais c’est une solution tout aussi valable puisqu’elle correspondrait à d’autres. »

Ajoutons, pour finir, que bien d’autres types de véhicules souvent inconnus ou ignorés sont envisageables : « il en existe, en fait, des centaines, de toutes sortes », écrit Aurélien Bigo dans un article sur The Conversation. Bref, comme l’écrit Gabriel Plassat : pensons véhicules, plus que voitures. Si les usages et les besoins en mobilité sont effectivement très différents selon les cas, les possibilités ne manquent pas pour inventer une mobilité bas carbone adaptée, demain, à chacun.

Pour conclure : la voiture électrique, bombe à retardement politique ?

Je crains que les documentaires complotistes très persuasifs, comme Hold up, ne s’en donnent à cœur joie. Tous les ingrédients semblent en effet déjà réunis pour donner l’impression, dans un même documentaire choc, d’un « grand agencement » et d’un « abandon de la part des élites » : la décision de l’UE d’interdire la vente des véhicules thermiques en 2035 (« nos élites politiques sont corrompues » / « l’Europe nous détruit » / « Elle nous vend à la Chine et sabote notre avenir »), les impacts sur l’emploi en l’absence d’anticipation (en particulier s’agissant des reconversions à prévoir), des témoignages de « spécialistes » à charge qui viendront expliquer à quel point le véhicule électrique n’est pas écologique, le tout illustré par des images de mines de lithium …Le tout sur fond de beaucoup de ressentis émotionnels sur le sujet (exemple ici, dans le cas certes très spécifique des voitures de luxe), vis-à-vis desquels les faits ont du mal à avoir prise.

Bref, le jackpot pour les politiciens les plus populistes, qui peuvent déjà se frotter les mains.

Derrière, c’est toute la transition écologique qui risque d’en pâtir : « puisqu’on nous ment sur ce sujet, qui nous dit qu’on ne nous ment pas sur le reste ? »…

Cet article était le 55e numéro de Nourritures terrestres, la newsletter sur les enjeux de la transition écologique. Retrouvez ici les numéros précédents. Merci à celles et ceux qui soutiennent ce travail sur ma page Tipeee. A bientôt ! Clément

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Nourritures terrestres

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