Et concernant les autres procédés de capture du carbone ?
Cet article est la partie bonus du numéro “Comprendre les enjeux des technologies de capture et stockage du carbone” publié dans la newsletter Nourritures terrestres. Retrouvez les autres parties dans l’article principal.
→ S’agissant du captage du CO2 directement dans l’atmosphère (dite DAC, pour Direct Air Capture) :
La DAC affronte un défi plus important encore que la capture en sortie d’usine, car la concentration de CO2 dans l’atmosphère est bien plus faible (entre 100 à 300 fois plus faible que pour la CSC en sortie de production). En conséquence, le besoin en énergie et donc en investissement financier est massif : les coûts financiers sont 5 à 10 fois supérieurs à ceux du captage du CO2 issu de sites industriels ou de centrales, selon McKinsey. Pour ces raisons, la DAC est aujourd’hui loin d’être viable à grande échelle. Certains estiment qu’il faudra plusieurs décennies pour que des procédés de DAC puissent être déployés massivement (s’ils peuvent l’être).
Une étude publiée l’an dernier concluait même que les besoins en énergie et en matériaux de la DAC en font une « diversion coûteuse énergétiquement et financièrement, avec une contribution négligeable à l’atténuation du changement climatique ». Selon les auteurs de l’étude, les quantités d’énergie et de matériaux nécessaires pour faire passer la DAC à grande échelle sont sous-évaluées au point d’être « irréalistes ».
Il faudra suivre au cours des prochaines années les avancées des travaux de R&D et projets pilotes en cours pour voir dans quelle mesure ces analyses restent valables ; mais en l’état actuel des connaissances, il faut donc rester extrêmement prudent.
→ S’agissant de la bioénergie avec capture et stockage de carbone (technologie BECSC, ou en anglais BECCS) :
-De quoi s’agit-il ? Il s’agit ici d’appliquer la CSC à la bioénergie (qui consiste à convertir de la biomasse — bois, végétaux, déchets agricoles…- en énergie, par exemple en électricité). Ce procédé est censé permettre des « émissions négatives ». Le processus est le suivant : la biomasse absorbe du CO2 durant sa croissance (étape 1) puis le relâche lorsqu’elle est brûlée pour en faire de l’énergie (étape 2, censée mener à une neutralité carbone théorique à ce stade du processus), or l’idée de la BECSC est de capturer une partie de ce CO2 (étape 3, censée aboutir à une réduction nette de CO2 sur l’ensemble du processus) pour l’enfouir.
-Problèmes : Ce procédé suscite de plus en plus d’attention mais est en même temps très controversé. D’abord parce que le principe théorique de neutralité carbone de la combustion de biomasse est largement remis en cause (lire ici et ici), ce qui vient percuter l’idée « d’émissions négatives » de la BECSC. Mais surtout parce qu’appliquer la BECSC à grande échelle pose de sérieux problèmes, liés aux besoins considérables en terres et en eau que cette technique implique.
Ainsi selon certains scénarios du GIEC, la BECSC nécessiterait entre 300 et 700 millions d’hectares de terres, c’est-à-dire peu ou prou la surface de l’Inde (328 millions d’hectares) ou de l’Australie (769 millions). Qui plus est, la majorité des terres adaptées au BECCS sont utilisées aujourd’hui pour des usages agricoles.
C’est ce que soulignait un groupe de chercheurs français, dont Harold Levrel et Julien Lefèvre, fin 2019 :
« Les impacts [d’un déploiement de la technologie BECCS] seraient massifs en termes de changements d’usage des terres, avec une forte expansion des surfaces dédiées aux cultures énergétiques (une surface de la taille de l’Inde en 2050, et plus du double en 2100 !). Les implications pour la biodiversité seraient profondes et dépendraient de façon cruciale des stratégies locales employées.
(…) Dans l’ensemble, ce déploiement à grande échelle pourrait induire des changements irréversibles sur le système Terre. Par une modification massive de l’usage des terres, une consommation d’eau importante, la perturbation des flux biogéochimiques, il risque de finalement compromettre l’intégrité de la biosphère. »
Cette analyse s’appuie notamment sur un papier publié dans Nature Climate Change il y a deux ans, dont le titre était sans ambiguïté : « Les émissions négatives issues de la biomasse sont difficiles à concilier avec les limites planétaires ».
-Qu’en penser ? La bioénergie n’est pas à rejeter en tant que telle mais tout dépend de quoi il est question. Comme l’écrit Benjamin Tincq du Goodtech Lab, « certaines idées de bioénergie sont affreuses, comme abattre des forêts anciennes pour brûler du bois ou cultiver des monocultures de maïs et de canne à sucre pour fabriquer des biocarburants. D’autres ont beaucoup de sens: des forêts gérées durablement, de la biomasse cellulosique issue des déchets agricoles et forestiers, des boues municipales, des gaz de décharge et peut-être des micro-algues à l’avenir ». En revanche, ces méthodes sont très loin de permettre de déployer la BECSC aux niveaux auxquels le prévoient un grand nombre de scénarios — à moins d’impacts peu souhaitables sur l’environnement et les populations.
→ Pour en savoir plus sur les enjeux de la BECSC, cet article accessible à tous, publié dans Scientific American en août 2020, constitue un bon panorama. Son titre est évocateur : « Le goulot d’étranglement de la biomasse ».
→ S’agissant de la reforestation :
Comme déjà évoqué dans un précédent numéro, en dépit des avantages certains des arbres pour capturer du carbone, les limites de ce procédé sont nombreuses et l’une des plus importantes renvoie à un problème de…capacité. « Il n’y a pas suffisamment de terres disponibles pour planter de nouveaux arbres » comme le rappelait un récent article sur le sujet.
Le GIEC estime ainsi qu’il ne reste environ que 500 millions d’hectares de terres pouvant être consacrées à de nouvelles forêts pour la capture du carbone.
Or Greenpeace UK montre que les objectifs “net zéro” de deux seules entreprises (British Airlines et Eni) requièrent d’utiliser pas moins de 12% de la capacité des forêts prévue par le GIEC ! De même, la société Royal Dutch Shell Plc a proposé de planter 1/10e de cette quantité pour atteindre son seul objectif.
On comprend bien ici en quoi les dizaines d’annonces de neutralité carbone de grandes entreprises depuis deux ans risquent de poser problème, quand on voit le nombre d’organisations qui misent sur la reforestation et/ou des techniques de CSC coûteuses et incertaines. In fine, l’auteur de l’article cité plus haut écrivait que « les entreprises sont trop nombreuses à miser sur la capture du carbone pour atteindre la neutralité. Il y a une limite à la quantité de CO₂ qu’il est plausible de retirer ».
→ S’agissant d’autres méthodes fondées sur la nature :
Outre la reforestation, il existe tout un éventail d’autres méthodes qui s’appuient sur les puits de carbone naturels. Elles sont essentielles, et plusieurs d’entre elles, prometteuses, mériteraient un numéro dédiée pour être mises en valeur : agroforesterie, protection des zones humides comme les mangroves et remise en eau d’anciennes zones humides, culture d’algues comme le kelp, etc.
Gare cependant à ne pas surestimer chacune d’entre elles. A cet égard, le cas de la séquestration du carbone dans les sols est intéressant. Il est indéniable que protéger les sols pour qu’ils puissent stocker au mieux du carbone fait partie des actions indispensables pour atténuer le changement climatique. Néanmoins, une publication du Réseau Action Climat indique que « de nombreux travaux remettent en cause les scénarios utilisés par le GIEC » en matière de stockage dans le sol. On peut y lire que « le carbone a été beaucoup moins stocké dans le sol depuis 1750 qu’estimé par le GIEC » et que « le GIEC a surestimé de 40 % la capacité de stockage du carbone dans les sols d’ici 2100 ».
« Les modules carbone/sol intégrés aux modèles système Terre se basent sur une approche qui date d’une trentaine d’années » explique en effet Bertrand Guenet, chargé de recherche au LSCE. « Le réchauffement pourrait même déstocker le carbone du sol d’ici 2050 » rappelle l’article.
Evidemment, ceci n’enlève rien à l’importance de changer les pratiques de culture et d’utilisation des sols, mais invite simplement à ne pas attendre d’une solution de capture du carbone, qu’elle soit naturelle ou technologique, qu’elle nous permette d’éviter les efforts considérables à effectuer par ailleurs sur les autres leviers d’action sur le changement climatique.
C’était le 31e numéro de Nourritures terrestres, la newsletter sur les enjeux de l’écologie (lien pour la recevoir). Tous les numéros précédents sont à retrouver ici.
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