Conférence de José Halloy : morceaux choisis

Nourritures terrestres
6 min readJan 30, 2022

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Les citations qui suivent sont issues de la conférence de José Halloy, professeur de physique à l’Université de Paris et chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire des Énergies de Demain, donnée le 2 décembre 2021 pour l’institut Mines-Télécom.

Ces morceaux choisis sont retranscrits dans le cadre de l’article “Regards sur les métaux” de Nourritures terrestres.

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Les risques sur le cuivre

Le cuivre est un élément d’infrastructure. Or nous risquons de connaître un pic de cuivre dans la seconde moitié du siècle, d’après nos travaux prospectifs — qui sont ni de la prévision, ni de la prédiction, simplement une tentative d’évaluation. Si cela se confirme, cela remettrait en cause tous nos choix de politiques énergétiques fondés sur l’électricité, les technologies numériques et tout ce qui est associé.

Il y a certes une grande incertitude mais même en changeant certains paramètres, le risque est important pour la première moitié du siècle suivant.

Trouver plus de ces éléments ne va pas régler le problème car les découvertes supplémentaires sont dévorées par l’exponentielle côté usages.

La seule chose que nous pouvons obtenir en trouvant plus de cuivre est d’aboutir à un pic de production de cuivre encore plus haut au cours du 21e siècle.

Bien sûr notre modèle prospectif a des défauts : 1/ il n’inclut pas la contrainte énergétique alors que celle-ci sera à mon avis majeure pour l’industrie minière ; 2/ il existe des incertitudes géologiques ; 3/ et un phénomène qui n’a pas été pris en compte : le recyclage.

Sur ce dernier point, Olivier Vidal, géologue au CNRS, montre que le taux de recyclage du cuivre doit doubler d’ici 2100 pour pouvoir répondre à la demande, c’est-à-dire pour correspondre aux scénarios de transition technologique. Autrement dit, 80% du cuivre utilisé devra être recyclé d’ici 2100. C’est un effort industriel et technique colossal.

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Nous avons besoin d’effectuer une « transition de puissance »

Les combustibles fossiles sont des organismes fossilisés, c’est à dire le résultat de l’action de la photosynthèse sur des centaines de milliers ou des millions d’années, que les procédés biogéochimiques ont stocké dans la croûte terrestre.

Autrement dit : les combustibles fossiles sont l’intégrale d’un flux solaire pendant des centaines de milliers d’années, qu’on a mis dans une petite boîte ; et nous humains, on se dit “c’est extraordinaire, j’ai une boîte, je l’ouvre et j’ai un petit soleil dedans qui s’appelle combustibles fossiles”.

Avec les combustibles fossiles, nous disposons donc d’une puissance qui est évidemment largement supérieure aux flux solaires : « évidemment », parce que nous sommes en train d’utiliser l’intégrale du flux pendant x milliers d’années au lieu d’utiliser le flux directement. On a donc une différence de puissance qui est évidemment colossale. Cela veut donc dire qu’on ne s’en sortira pas si on ne fait pas une transition de puissance — et non pas une transition nécessairement énergétique.

Autrement dit : il faut revoir tout le procédé industriel à l’aune de la puissance et pas uniquement à l’aune de l’énergie. On parle d’ailleurs souvent de procédés énergivores mais pas de procédés “puissantivores”. Ce mot n’existe pas en français, ce qui montre un impensé.

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De l’énergie, on en a 1000 fois trop : tous les ans on reçoit 1000 fois plus d’énergie qu’on en consomme. Les questions sont : comment peut-on capturer de l’énergie qu’on reçoit en masse, comment peut-on fabriquer les matériaux pour le faire, et quelle est la puissance nécessaire pour le faire ?

Le vivant, lui, a résolu le problème. Quel est le rendement de la photosynthèse ? De l’ordre de 1%. Pourquoi ? Parce que le vivant résout plusieurs problèmes en même temps et ce faisant résout la soutenabilité du vivant, c’est à dire le fait que c’est recyclable (pas au sens industriel mais au sens que c’est durable). C’est une biochimie particulière, qui est basse puissance et qui utilise 1% du soleil.

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Nous devons faire face à un couplage entre matériaux, énergie et biosphère. Or ce couplage est mal fait pour le moment puisqu’il réduit l’habitabilité de la planète. Il y a des limites planétaires qu’il va falloir définir, ce qui n’est pas forcément évident. Certaines sont évidentes : la distance Terre-Soleil, la taille de la Terre, l’irradiance…Mais d’autres sont bien plus compliquées à déterminer : les quantités de matériaux qu’on peut utiliser, les types de matériaux, etc.

Conclusion : ce n’est pas seulement d’une transition énergétique dont nous avons besoin, c’est d’une transition de puissance. Il faut commencer à penser « puissantivore », avec une question centrale : si on veut de la puissance, où allons-nous la trouver en dehors des combustibles fossiles ? La conséquence est qu’on doit repenser tout le système technique, parce que celui-ci dépend de la fabrication des matériaux. On commence tout juste à tenir compte du couplage entre les matériaux qu’on utilise et le système d’énergie qu’on utilise.

En réalité, l’essentiel des technologies que nous utilisons aujourd’hui sont des « technologies zombies », c’est à dire que ce sont des morts-vivants. Elles continuent d’envahir le monde au détriment de l’humanité mais elles sont déjà mortes en termes de soutenabilité. Il va falloir les reprendre une par une, les analyser et voir si on peut les ramener à la vie ou devoir les abandonner.

Même l’agriculture, qui existe depuis le néolithique il y a plus de dix mille ans, et qui était soutenable jusqu’à il y a peu, a été zombifiée à coup de combustibles fossiles et d’engrais azotés artificiels.

Dès lors, ma conclusion de ma conclusion est la suivante : le défi n’est pas que le changement climatique : tout doit changer. D’un point de vue scientifique et technique, l’effort de recherche que nous devons faire, dans toutes les disciplines des sciences naturelles mais aussi les sciences sociales, est considérable et sans doute inégalé dans l’histoire de l’humanité.

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La (supposée) transition énergétique conduit à une augmentation de la demande en matériaux. (…) On va bien sûr continuer à faire de la voiture électrique, des panneaux photovoltaïques, des éoliennes, etc., pour des raisons socio-économiques, mais si on ne pense qu’à ça et qu’on ne pense pas aux solutions alternatives qui restent à inventer, on sera mal dans la seconde moitié du XXIe siècle, ou au XVIIe siècle.

Il faut mener ces défis en parallèle : raisonner au sein de nos systèmes socioéconomiques actuels (faire de la mobilité électrique, etc.), et en même temps réfléchir aux manières d’inventer un monde qui sorte de cette voracité en termes de puissance.

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Il y a à peu près 32 millions de voitures en France. Qui s’imagine qu’il va y avoir 32 millions de voitures électriques en France en 2050 ? On n’aura jamais les matériaux pour les fabriquer et la Chine ne nous laissera pas le faire — ou voudra le faire à notre place.

Une des conséquences de penser “planétaire” c’est que tout devient géopolitique. Or si vous réfléchissez en termes géopolitiques, c’est l’Union européenne qui est la plus mal classée du monde occidental. En termes d’approvisionnement en énergie et en matières premières, l’Union Européenne est très mal placée. On est de ce point de vue-là très naïfs, par rapport aux grands concurrents que sont l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), la Russie et évidemment la Chine.

Cela étant, ce n’est pas nécessairement négatif : on peut aussi voir les questions de crise écologique comme une occasion de redéfinir notre position géostratégique et géopolitique, de nous repositionner pour nous libérer de contraintes qui ne sont peut-être pas intéressantes.

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Il faut donc faire avec l’existant, faire de la sobriété et diminuer les gaz à effet de serre, et en même temps réfléchir en termes planétaire, scientifique et technique : comment fabriquer d’autres types de matériaux, et comment inventer des techniques pouvant être durables car tenant compte des contraintes biophysiques de la planète.

Aujourd’hui, on n’a pas les réponses à ces questions.

C’est un travail à faire et qui commence à peine à être fait : les scénarios énergétiques de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) incluent l’enjeu des matériaux uniquement depuis 2018 ou 2019. Quand je dis qu’il faut des matériaux pour faire de l’énergie, et de l’énergie pour faire des matériaux, c’est le degré zéro de l’analyse scientifique et technique, c’est une trivialité monstrueuse, mais l’Agence internationale de l’énergie ne prend en compte que depuis peu qu’on ne peut plus faire des scénarios de manière séparée.

On n’a pas l’habitude de penser en système, d’avoir une vue d’ensemble, parce que la recherche scientifique et technique a été taylorisée, divisée en sous-sous-sous-disciplines où chacun devient hyper spécialiste dans un petit morceau. Qui de nos jours essaie de remettre en place l’ensemble, c’est-à-dire penser à la fois les matériaux, l’énergie, le système socio-économique, le modèle de société, les normes sociales… ?

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Les citations ci-dessous sont issues de la conférence de José Halloy donnée le 2 décembre 2021 pour l’institut Mines-Télécom. Ces morceaux choisis ont été retranscrits dans le cadre de l’article “Regards sur les métaux” de Nourritures terrestres.

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