15 points à retenir de l’interview d’Aurore Stéphant dans Thinkerview
Les citations qui suivent sont issues de l’interview d’Aurore Stéphant (ingénieure géologue minier, spécialisée dans les risques environnementaux et sanitaires des filières minérales) réalisée par la chaîne Thinkerview.
Elles sont ici regroupées en 15 grands points que je retiens de cette interview, dans le cadre de l’article “Regards sur les métaux” de Nourritures terrestres.
Bonne lecture.
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1/ Les concentrations dans les gisements ont des teneurs extrêmement faibles.
« A part une poignée de métaux (fer, aluminium, titane…), la majorité des métaux se retrouvent dans les gisements à des concentrations de l’ordre du pour cent, du dixième de pour cent, voire encore moins, du gramme par tonne.
Pour l’uranium par exemple, le chiffre est de 0,1 à 0,3% d’exploitation par tonne. Pour le lithium, la teneur d’exploitation moyenne dans les déserts de sel est de 0,05% à 0,15%.
Et ces chiffres sont valables pour des métaux plutôt classiques. Pour les métaux précieux comme l’or, l’argent, le platine, on est plutôt de l’ordre du gramme par tonne : 1,15 gramme par tonne sur la moyenne de 400 gisements exploités en 2015. »
« Ainsi, une large partie de ceux qui travaillent dans des mines d’or ne voient jamais d’or : dans ces mines, on ne voit même pas de paillettes. J’ai visité plein de mines d’or et n’ai jamais vu de paillettes. »
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2/ Les mines contiennent souvent un ensemble de métaux, ce qui peut avoir de lourdes conséquences sanitaires et environnementales
« Une mine de cuivre par exemple ne contient absolument pas seulement du cuivre et de la roche : elle contient bien d’autres éléments, souvent de l’arsenic, souvent du molybdène, etc.
Prenons le cas de l’or. Il y a 8 substances qui y sont régulièrement associées, dont l’argent, qui est un grand co-produit des mines d’or. Il est très rare de découvrir une mine d’or qui ne contienne pas d’argent. Dans une mine d’or, il y a aussi fréquemment un ensemble de substances métalliques : le cuivre, le zinc, l’antimoine, l’uranium sont des co-produits fréquents des mines d’or. Très souvent sont aussi associés du mercure, de l’arsenic, du baryum, à des teneurs parfois très importantes.
Ainsi dans l’Aude près de Carcassonne, la mine de Salsigne [fermée depuis 2004] a été la plus grande mine d’or d’Europe occidentale et la dernière de France métropolitaine ; cette mine a longtemps été le premier producteur mondial d’arsenic, au-delà de sa production d’or. » [Il s’agit d’ailleurs aujourd’hui du site le plus pollué de France]
-> Conséquence : « A partir du moment où on sait que dans un gisement, il n’y a pas juste 1 substance mais un cortège d’autres substances, on va de facto soit récupérer un petit peu des autres métaux, soit tout jeter.
Dans le cas d’une mine d’or (mais le raisonnement est valable pour les autres métaux), puisqu’il y a environ 1 gramme d’or par tonne de roche, il faut donc extraire et traiter 1 tonne de roche pour obtenir 1 gramme d’or. Dans cette tonne qui est rejetée, on retrouve donc un cortège métallique conséquent ; dans ces métaux il y a un certain nombre de substances métalliques ou métalloïdes qui sont particulièrement dangereuses pour la santé ou pour l’environnement.
Une fois qu’on a compris ça et qu’on voit les chiffres de production actuels -je ne parle pas encore des prévisions !- on comprend qu’on va devoir gérer des quantités phénoménales de déchets miniers, qui contiennent aléatoirement de l’arsenic, du plomb ou autres. »
« Toutes les mines n’ont pas le même cortège métallique. Mais ce problème est bien LE mal de l’industrie minérale : c’est un des secteurs industriels qui génère le plus de contaminants et surtout de contaminants métalliques. »
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3/ Pour réduire ces impacts, les marges de manœuvre sont limitées
« Il faut avoir conscience des limites des mesures possibles des industriels face à problème.
Quand vous exploitez en souterrain, vous allez rencontrer de grandes quantités de seaux d’eau souterraine, que vous allez pomper. Vous pouvez mettre en place des mesures pour récupérer les eaux, les traiter, etc., mais à terme vous serez quand même limité. Vous êtes face à des forces quasi-telluriques : on parle de millions de litres d’eau qui sont pompés chaque année sur beaucoup de sites miniers industriels.
Cette eau est soit traitée puis rejetée dans l’environnement, soit directement rejetée.
L’eau n’est qu’un exemple. Il y a aussi la question des millions, dizaines ou centaines de millions de déchets générés. Ce sont des amas qu’il faut stocker. On peut mettre en place certaines mesures mais on est naturellement contraint par la grandeur de ces objets. Avant de parler des mesures qui permettent de limiter les effets, il faut avoir en tête la dimension des objets et les échelles. Quand on parle de la mine industrielle on parle de chaînes qui sont kilométriques ou pluri-kilométriques. »
« Prenons l’exemple de 50 millions de tonnes, ce qui est un stockage modéré. Il faut arriver à les stocker : on n’a pas de poubelles géantes. Et quand c’est sous forme de boues c’est plus compliqué.
La 1re technique est le déversement dans des barrages — c’est comme un barrage hydroélectrique, sauf qu’à la place de l’eau on met des déchets miniers sous forme de boues liquides.
On pourrait largement parler des limites de cette technique. Les dépôts de ce type peuvent représenter des échelles de 100, 200, 500, parfois 1000 hectares (avec une profondeur variable, qui peut être parfois plus haute que la tour Eiffel). Peut-être que certains connaissent la mine de Rio Tinto, une mine de cuivre-or en Espagne : l’aire de traitement des déchets est de 500 hectares.
La 2e technique, de plus en plus mise en œuvre : réintroduire des résidus dans les vides créés par l’exploitation du trou. On bouche le trou, donc, mais on ne peut jamais tout réintroduire (car on a ajouté de l’eau et de l’air au matériau initial) : en Europe, on arrive au maximum à un taux de 52%.
La 3e méthode est la plus économique : rejeter directement dans la mer ou la rivière… »
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4/ Concernant les accidents
« Les ruptures de barrage qui ont eu lieu n’ont pas fait beaucoup parler. Pourtant on en a vécu de très importantes en Europe. En 1998 c’est une rupture de digue à côté de Séville en Espagne : 7 millions de mètres cubes de résidus sulfurés se sont déversés, comme une coulée de boue.
Deux ans seulement après, en 2000, en Roumanie se produit une catastrophe sur une digue sur une mine d’or. Moins de quatre mois plus tard, nouvelle rupture de digue, toujours en Roumanie, dans une mine de plomb-zinc. Huit ans après, une autre catastrophe se produit, dans une mine d’aluminium en Hongrie.
Pour ces cas majeurs, en général l’ordre de grandeur est le million de mètres cubes de boues larguées instantanément.
Parmi les épisodes récents : dans une mine de fer en 2015 au Brésil, une coulée de boue a rejoint un fleuve qui se jette dans l’Atlantique. La coulée a parcouru plus de 500 km.
En 2014, une rupture de digue dramatique se produit au Canada, dans une mine de cuivre-zinc-plomb : plusieurs millions de mètres cubes sont déversés. Dans un environnement de lacs et de forêts comme celui-là, c’est ingérable. C’est très très compliqué à nettoyer ou réparer.
En 2017, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) s’empare de la question : il rédige un rapport appelé « Safety is no accident », qui explique qu’il y a un problème avec les ruptures de digues, qu’il s’agit systématiquement de problèmes de négligence et de sous-estimation, et qu’on ne met pas assez de moyens pour entretenir ces ouvrages pour des raisons économiques.
Et pourtant cela recommence, en 2019 à Brumadinho au Brésil. Cette fois-ci 300 personnes disparaissent parce qu’il s’avère que la cantine, les laboratoires et d’autres ateliers se trouvaient en aval immédiat de cette digue.
La question des résidus miniers, de leur stockage et des catastrophes liées aux digues est une problématique environnementale majeure — pendant la période d’exploitation mais aussi après, sur le long terme. A Brumadinho, la digue était d’ailleurs fermée : elle n’accueillait plus de nouveaux résidus.
Le résidu minier, c’est le loup noir de la mine. C’est le plus gros volume avec lequel on travaille au regard des teneurs. Quand la teneur moyenne d’un gisement de cuivre est de 0,61% comme c’est le cas en moyenne au Chili, cela signifie que vous allez jeter près de 99% : la masse que vous allez travailler, transporter, traiter, c’est du déchet.
L’industrie minière est le plus gros générateur de déchets solides, liquides et gazeux de tous les secteurs industriels. L’industrie minière n’a rien à voir avec les autres industries — pour des raisons de fonctionnement, pour des raisons de taille, et pour son emprise spatiale.
On nous oppose souvent : « il ne faut pas caricaturer les choses, toutes les mines sont pas gigantesques ». Toutes non, mais la majorité des mines du monde sont à grande échelle et sont exploitées en ciel ouvert.
La mine industrielle représente 88 % de la production de métaux, et 57% des sites miniers du monde sont à ciel ouvert.
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5/ Le numérique et la transition écologique sont l’arbre qui cache la forêt
« Aujourd’hui lorsqu’on parle de métaux, on met énormément en avant le numérique (qu’on on restreint d’ailleurs beaucoup aux téléphones portables et aux ordinateurs alors que ça commence tout le matériel) et les besoins liés à la transition écologique.
Ce qu’on dit mal, ou qu’on ne dit pas assez, c’est que tout notre quotidien, tout notre monde est matériellement fondé sur le métal. Les métaux se trouvent partout : dans les transports (avant de parler de véhicules électriques, les véhicules thermiques sont déjà plein de métaux), le matériel numérique, les infrastructures, l’électrification, le bâtiment, la cosmétique, jusqu’à l’agroalimentaire : en agriculture pour les engrais, dans certains cas de pâtisseries industrielles (pour l’hydroxyde d’aluminium), etc. »
« Ce que nous constatons comme tendance, c’est une sur-minéralisation ou sur-métallisation de notre quotidien, au-delà des transports et des infrastructures : électroménager, peintures, numérique… »
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6/ Les boucles de rétroaction entre industrie et mines
Cette situation ne date pas de l’apparition du numérique et des smartphones : elle date d’il y a plusieurs siècles.
L’interaction industrie — mines est extrêmement forte, avec des boucles complexes de rétroaction.
On pense que l’industrie minière produit toujours pour répondre à des besoins mais il y a des moments où l’industrie minière produit massivement, sans savoir encore quoi faire de ce produit. L’industrie va alors trouver le moyen d’utiliser ladite matière.
Par exemple, pendant longtemps on a exploité des gisements de pyrite (un sulfure de fer) pour faire de l’acide sulfurique pour l’industrie chimique. A la fin du 19e siècle, de nouveaux procédés (notamment chloration et procédés Solvay) font qu’on a moins besoin d’acide sulfurique dans l’industrie chimique.
La question se pose alors : que va-t-on faire de l’acide sulfurique produit par les mines de pyrite, comme par exemple dans le Rhône ? Eh bien on a trouvé un débouché : les engrais. Prenez du phosphate, mettez de l’acide sulfurique dessus, vous faites du super phosphate simple : c’est un engrais phosphaté.
Autre cas d’interactions entre industrie et mines : dans les années 1975 il y a eu en France et en Grande-Bretagne des scandales par rapport à des collèges dont la charpente dans la structure était faite à base d’acier — ce qui posait des problèmes de conformité. J’ai lu des publications de spécialistes qui ont étudié les causes historiques concernant les cas en Grande-Bretagne ; dans les témoignages de l’époque, on découvre que la raison pour laquelle ils avaient fait appel à ce type de structure était que… l’industrie de l’acier n’allait pas bien.
Ces exemples montrent qu’industrie et mines sont historiquement liées en permanence dans notre quotidien. La première fois qu’on a utilisé une machine à vapeur, c’était pour pomper l’eau dans les gisements de charbon qui étaient trop profonds : la machine à vapeur est liée au fait qu’on voulait exploiter plus profondément les mines de charbon. De même, la première ligne de chemin de fer qu’on a créé, la ligne Saint-Etienne — Andrézieux en 1827, a été faite pour transporter du charbon.
Vous le voyez : les innovations technologiques, l’industrie et la mine sont très liées. »
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7/ Le retour du sujet des mines après une « hibernation cérébrale » déconnectée des réalités
« Une question intéressante est : pourquoi est-ce qu’aujourd’hui on nous reparle de la mine alors que pendant des années on s’est bien gardé de le faire ? On s’intéresse aux questions minières depuis peu : quand j’ai cofondé l’association SystExt [pour « Systèmes extractifs et Environnements »] en 2009, on ne parlait jamais de mines — tout le monde s’en fichait. 2009 c’était hier.
On a fermé de plus en plus de mines à partir des années 80, mais il y en avait partout à côté : la Roumanie, l’Espagne, la Grande Bretagne, l’Allemagne, la Pologne, les Etats-Unis, le Canada… : pas besoin d’aller en Amérique Latine, en Afrique ou en Birmanie pour trouver des noms de mines qui ont continué de fonctionner massivement pendant qu’on faisait notre hibernation cérébrale sur les questions minières.
(…) Aujourd’hui je dis qu’il y a un problème avec les digues et que c’est hallucinant qu’il y ait entre 4 à 5 rupture de digues par an.
(…) Ce qu’on dénonce à SystExt, c’est le moment où on a basculé complètement d’un modèle productif qui était certes impactant mais compréhensible, à un modèle avec des impacts gravissimes et des échelles démentielles.
(…) Trop souvent les discours miniers ne parlent que de la mine et du métal. A SystExt, dans nos visites de terrain, on donne autant d’importance et de temps aux exploitants, aux mineurs, aux familles et populations affectées, et aux élus, de façon à avoir une vision pleine et entière du sujet. »
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8/ Illusions à perdre
« En 2017, la Banque Mondiale lance une grande campagne qui s’appelle « Climate-Smart Mining » avec des représentations toutes merveilleuses, des dessins qui ressemblent à des Walt Disney en vert et en bleu.
(…) Puisque le secteur minier est extrêmement énergivore (à lui seul il représente 8 à 10% de l’énergie mondiale), plusieurs rapports, notamment un de l’OCDE, ont été publiés concernant la réduction de ses émissions. Ces rapports expliquent qu’il faut promouvoir et déployer les énergies renouvelables sur les sites miniers. (elle se met à rire)
Avec SystExt on a déterminé, d’après des publications scientifiques, que la consommation énergétique d’une seule mine d’or représente en moyenne celle de 30 000 foyers français. Il faudrait donc, selon ces rapports, installer des parcs solaires et éoliens qui permettent d’alimenter l’équivalent de 30 000 foyers, et ce pour une seule mine, en sachant qu’il y a 3199 mines d’or en exploitation dans le monde (chiffre de 2015) !
Au-delà du problème d’ordre de grandeur, il y a aussi un paradoxe : cela donnerait un système dans lequel on va exploiter des mines pour produire des métaux nécessaires à la transition énergétique, ceci dans le but de produire des énergies renouvelables, qui iraient ensuite alimenter en énergie des mines qui vont extraire des métaux, et ainsi de suite…C’est tout de même un modèle étonnant ! »
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9/ Une évolution du discours qui tend à la malhonnêteté
« On s’est rendu compte d’une évolution discursive. Tout un discours public s’est développé pour associer la relance minière à la transition écologique, et donc au « vert ». C’est malhonnête, parce qu’on a besoin de métaux partout. »
« Certes les métaux sont nécessaires pour la transition écologique, mais on pourrait déjà commencer par expliquer à tout le monde que c’est nécessaire pour le transport, l’agriculture, la défense, l’aérospatial… Il faut peut-être commencer par cela, quand bien même c’est beaucoup moins glamour d’expliquer qu’on a besoin de tant de plus de plomb pour assurer l’alimentation en réfrigérateur du monde entier plutôt que de parler des éoliennes. »
« Plusieurs chercheurs — anthropologues, sociologues… — ont analysé les discours autour du lien entre transition et mines. Ils montrent par exemple que la mine de cuivre est maintenant parfois présenté comme une « mine verte » ! Or on sait à quel point les mines de cuivre sont problématiques, encore plus que d’autres.
Il faut être gonflé pour écrire cela. Je peux comprendre qu’on essaie de faire adhérer la population aux objectifs de transition, mais cette pratique discursive est malhonnête. »
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10/ Elle juge que « les scénarios de transition présentés aujourd’hui sont complètement irréalistes » au regard de leurs besoins en métaux.
« Prenons le véhicule électrique. Une voiture thermique c’est 20 kg de cuivre. Complétement électrifiée, c’est 80 kg de cuivre. De même, on était de mémoire autour de 50 kg d’aluminium par véhicule ; on est monté à 140 kg d’aluminium ; et dans les années à venir avec l’électrification on pense qu’on va au moins multiplier ce chiffre par 1.5. Et bien sûr, il y a la batterie qui focalise l’attention, et en particulier la cathode qui nécessite des métaux (nickel, manganèse, cobalt…). Une Zoé, c’est environ 7 kg de lithium, 11 kilos de cobalt, 11 kilos de manganèse et 34 kg de nickel.
(…) La seule voiture véritablement écologique, c’est celle que l’on ne produit pas. »
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11/ Le secteur n°1 en termes de conflits sociaux ou environnementaux, et d’expropriations
« Les associations de droits humains ou de questions sociales montrent que le secteur à l’origine du plus grand nombre de conflits sociaux ou environnementaux est le secteur minier, parmi tous les secteurs confondus — y compris nucléaire, agrobusiness, etc. Le secteur minier représente 20% des conflits sociaux et environnementaux référencés dans la base de données EJ Atlas, qui fait référence. Et cela ne va pas s’améliorer.
(…) Si l’industrie minière n’est pas une industrie comme les autres, c’est aussi parce que c’est une industrie unique en ce qui concerne l’expropriation : il n’y a pas d’autres équivalents dans les secteurs industriels. En nombre de déplacements forcés, pour les gros sites cela concerne souvent 10 000 à 30 000 personnes. Et pas besoin d’aller loin pour le constater : dans un pays frontalier comme l’Allemagne, la mine de charbon de Hambach a déplacé plusieurs milliers de personnes et envisage d’en déplacer encore plusieurs milliers. »
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12/ Les questions fondamentales à se poser
« La question à se poser, c’est celle du rapport entre le bénéfice qu’on tire de l’exploitation minière (individuellement, collectivement) et les externalités — environnementales, sociales, humaines. Un membre de SystExt me disait : « Tu sais ce qui me fait le plus de mal ? C’est de voir ce qu’on fait du métal à la fin, vu ce que ça a demandé en amont ».
Ce qu’on dit à SystExt depuis des années c’est qu’il y a une activité minière indispensable à bien des égards mais que celle-ci a des impacts graves, qui ne sont pas maîtrisés pour une large partie d’entre eux, et qu’il va donc falloir agir : trouver le moyen à la fois de réduire la demande et de réduire les impacts. »
Par ailleurs, « chez SystExt, on n’a jamais dit que la mine était au cœur de la matérialité de notre monde : on dit que ce sont les métaux. La mine est la voie d’approvisionnement en métal qu’on connait le plus, mais ce n’est pas la seule. Il y a le recyclage, et il y a aussi le sujet de la consommation.
La première question qu’il faut déjà pouvoir se poser est : de quels métaux avons-nous besoin pour le fameux modèle économique sain dont on nous parle ?
En France, un rapport remis en janvier au gouvernement était censé répondre à cette question mais ne veut pas être publié : le rapport Varin [sur la sécurisation de l’approvisionnement en matières premières minérales]. Il nous aurait été utile mais Bercy a expliqué aux journalistes et à la société civile que le rapport ne pouvait pas être rendu public parce qu’il contient des données confidentielles concernant des secteurs stratégiques.
Une musique lancinante nous est rabâchée pour dire qu’on a besoin de mines parce qu’on a besoin d’économie et parce que c’est le progrès : personnellement, plus je m’intéresse aux contenus métalliques des biens du quotidien, moins ça fait sens pour moi. Ou en tout les cas il y a des endroits où ça ne fait pas sens pour moi. Je ne me retrouve pas dans les priorités qui sont décidées en termes métalliques, et il est possible que d’autres de mes concitoyens ne s’y retrouvent pas non plus. »
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13/ Le cas emblématique de l’or
« On ne parle presque jamais de l’or : on parle toujours du lithium, du cobalt…Pourtant on devrait s’y intéresser. Des économistes belges m’ont indiqué en 2018 que l’or représente entre 50% et 75% des dépenses d’exploration, toutes substances confondues. Avec SystExt on a regardé les usages. Eh bien cela fait peur. 50 à 60% de leurs usages dans le monde sont pour la joaillerie et la bijouterie (dont 1/3 sont liés aux coutumes en Inde liées aux thésaurisations et aux mariages !). Ensuite on a les usages du monde financier et le stockage de l’or par les banques centrales. Seulement 5% à 10% sont liés à l’industrie. Quand j’ai vu ça, je me suis dit : « Aussi peu, c’est une blague ? ».
Je me suis renseignée ensuite sur la quantité d’or qu’on recycle chaque année (étant donné que l’or se recycle très bien) : c’est trois fois la quantité nécessaire pour les usages industriels.
Depuis ce jour-là je ne vois plus du tout l’or de la même façon. Surtout quand on sait que c’est la matière minérale la plus traitée chimiquement. 1 milliard de tonnes de cyanure par an sont utilisées pour cela.
A l’époque le ministre de l’Environnement, François De Rugy, nous avait expliqué que la cyanuration avait été développée pour éviter d’utiliser du mercure, qui serait bien pire. Mais c’est faux. La cyanuration a été développée dans les années 1880 en Afrique du Sud. Autant vous dire que la préoccupation environnementale était relativement peu présente dans le secteur industriel minier aurifère à cette époque-là. Ce n’est pas pour cette raison qu’on l’a développé, mais pour des questions pratiques : pour aller chercher l’or, on a eu besoin d’une substance chimique qui soit suffisamment puissante pour pouvoir l’extraire alors que lui existe sous forme infinitésimale.
(…) A ce jour le projet de la Montagne d’Or en Guyane est le seul projet minier contre lequel SystExt s’est positionné, tellement il est intenable et aberrant. A ce jour ce projet n’a d’ailleurs toujours pas eu d’étude d’impact. »
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14/ Attention au seul critère des gaz à effet de serre
« Trop d’évaluations d’impact environnemental sont basés sur le seul critère des gaz à effet de serre. Cela revient à dire que vous êtes écologiquement responsable lorsque vous n’émettez pas beaucoup de gaz à effet serre et que vous êtes écologiquement irresponsable parce que vous en émettez beaucoup.
Il y a pourtant bien d’autres considérations à prendre en compte : la destruction d’espaces protégés ; la pollution massive de cours d’eau et de nappes d’eau ; la stérilisation de terres, qui ne peuvent plus être des terres agricoles ; etc.
Or aujourd’hui ce sont des choses qu’on ne quantifie pas, ou extrêmement mal.
Même à l’échelle d’un site minier on n’y arrive pas. Quand on demande aujourd’hui aux acteurs d’un site minier : « avez-vous une idée de l’emprise en masse ou en surface de la contamination des eaux liée au site ? », on n’a pas de réponse précise. »
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15/ Concernant l’exploitation des fonds marins
« Comment voulez-vous faire confiance à une industrie qui n’a pas résolu ces problèmes sur terre, là où c’est tout de même plus simple, et qui veut maintenant se déployer en mer — parfois jusqu’à plusieurs milliers de mètres de profondeur ?
A SystExt on a lu des centaines de publications scientifiques sur ce sujet pour essayer de comprendre les techniques et les impacts de l’exploitation sous-marine. Des dizaines et des dizaines de chercheurs disent que c’est complètement aberrant : ce sont des milieux complètement protégés de la lumière, du bruit, etc.
Pour le projet Nautilus au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’un des appareils fait 205 tonnes. Par comparaison un véhicule individuel fait en moyenne 2 ou 2.5 tonnes. Il faut imaginer faire descendre 200 tonnes de métal à 1500 mètres de profondeur (et plus !).
Pour commencer, j’aimerais bien savoir quelle est la grue qui va aller chercher les 200 tonnes à 1500 mètres de profondeur quand on aura fini d’exploiter.
Mais au-delà, prétendre qu’il n’y aura pas de problème quand vous allez mettre 200 tonnes dans un environnement qui ne connaît aucune perturbation, aucune lumière, relève de la malhonnêteté.
(…) Déposer des résidus miniers en fond marin c’est catastrophique, exploiter des fonds marins c’est catastrophique. »
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Ces citations sont issues de l’interview d’Aurore Stéphant dans Thinkerview. Retrouvez ici l’article “Regards sur les métaux” de Nourritures terrestres.