15 curiosités sonores du vivant

7 min readAug 15, 2021

Cette page est la partie “bonus” de l’article “La musicalité du vivant et ses curiosités” publié dans la newsletter Nourritures terrestres. Les anecdotes qui suivent sont issues du livre “Le grand orchestre des animaux”, de Bernie Krause.

1- « On peut deviner la température en comptant les stridulations de certains grillons. Par exemple, en ajoutant 40 au nombre de stridulations chantées par l’oécanthe thermomètre (un criquet d’un centimètre et demi de long) on obtient la température en degrés Fahrenheit. Le tempo de leurs stridulations dépend effet de la température ambiante. En journée, selon l’endroit où se trouve le grillon (plein soleil ou zone ombragée), ce tempo varie, mais quand vient le soir, les températures au sol s’égalisent et tous les grillons frottent leurs ailes (d’où proviennent les stridulations) en phase, c’est-à-dire en parfaite synchronie ».

2- « Le plaisir d’entendre notre voix faire écho est l’une des raisons pour lesquelles nous chantons sous la douche : la réverbération est une qualité du son qui plait à beaucoup d’êtres vivants. L’élan qui vit dans l’Ouest américain, en rut à l’automne, met à profit la propagation de l’écho en forêt, meilleure à cette saison, pour pousser son brame afin de donner l’illusion de posséder un territoire plus étendu. De même, les hyènes, les babouins, et de nombreuses espèces de grenouilles vocalisent souvent quand les conditions climatiques et le paysage concourent à produire de la réverbération ».

3- « Pendant que j’enregistrais, dans les années 1980, une série d’albums de paysages sonores naturels, j’ai appris que ceux où figuraient le tonnerre étaient retirés de la vente dans les magasins japonais, parce que les clients se sentaient menacés par le bruit : il leur rappelait la guerre ».

4- Impression sonore d’une marée noire. « Un collègue, Martyn Stewart, qui s’était rendu sur les côtes de Louisiane après la marée noire provoquée par BP en 2010, fit des observations à propos de l’étrange qualité sonore des vagues qui déferlaient sur les plages souillées par le pétrole. Cela lui évoquait quelque chose de visqueux, boueux, comme si l’eau étouffait, suffoquait. C’est le clapotement assourdi du mélange d’eau et de pétrole sur la plage qui lui a laissé l’impression la plus accablante : ce qu’il entendait était bien plus frappant que ce qu’il voyait ».

5- Du souffle à la spiritualité. « Lorsque le bruit du vent est étouffé et subtil, il me rappelle parfois le souffle d’organismes vivants ; il devient le point de rencontre entre les animaux et la terre vivante. Ce spiritus (« souffle » en latin) est l’intersection de toutes les sources essentielles du paysage sonore. Dans beaucoup de cultures, on place le souffle à la racine de la spiritualité, que ce soit celui du vent dans les arbres ou la respiration des êtres vivants ».

6- « On a toujours cru que les vocalisations des crapauds dits du Grand Bassin remplissaient deux fonctions : attirer un partenaire et protéger le territoire. Mais une autre explication, liée à la survie, nous avait échappé : un chœur synchronisé constitue un tissu acoustique protecteur sans faille. Quand tous les crapauds vocalisent de concert, les prédateurs dont l’ouïe est développée (renards, coyotes, chouettes…) ont du mal à prendre l’un d’eux pour cible, car aucun ne se distingue des autres. En revanche, s’ils perdent le rythme et attirent l’attention en essayant de retrouver leur place dans le chœur, gare à eux ! »

7- « On dit toujours que la fonction du comportement acoustiques des oiseaux, amphibiens, poissons et mammifères est liée à l’accouplement ou au territoire. Mais les hippopotames, éléphants, cétacés et d’autres animaux ont d’autres raisons de se faire entendre. Beaucoup de cétacés à dents (dauphins, cachalots…), par exemple, lancent des salves sonores — un trait éruptif extrêmement ciblé qui étourdit leur proie et la ralentit assez pour qu’ils puissent s’en emparer sans trop dépenser d’énergie.

En une astucieuse adaptation, la crevette pistolet ferme sa grande mâchoire tellement vite que la vitesse forme une bulle de cavitation qui éclate avec un bruit d’impact si fort qu’il paralyse le poisson et fournit ainsi son repas à la crevette sans effort de sa part. »

8- « Les papillons de nuit sont parvenus à brouiller les signaux d’écholocation des chauves-souris. Mais, nouvelle solution adaptative, certaines chauves-souris ont compris leur ruse et réduit leur signal originel, un tintement fort, à un doux murmure. Cela leur permet de se rapprocher à une longueur d’aile de leur proie sans être repérées ».

9- « Le son de la croissance du maïs. J’ai été engagé, lors de mes débuts à Hollywood, dans une équipe de techniciens du son pendant le tournage d’un film de série B. Le réalisateur, espérant m’inciter à démissionner, m’expédia dans l’Iowa en plein mois d’août avec pour mission d’enregistrer le maïs en train de pousser. Il ne voulait plus me voir sur le plateau, m’expliqua-t-il, parce qu’il n’avait pas besoin de deux preneurs de son, et comme je travaillais sous contrat syndical, il ne pouvait pas me renvoyer. Je partis donc consciencieusement accomplir ma besogne, passant la nuit au milieu d’un champ de maïs, mon micro tendu vers un épi, attendant qu’il se passe quelque chose. Il s’est avéré que la croissance télescopique du maïs émet de petits couinements et grincements, tels des frottements secs et saccadés sur un ballon de baudruche bien gonflé. Le son du maïs en train de pousser ».

10- Petites bêtes, gros son. « J’ai souvent entendu dire que la voix d’un être vivant dépend de sa taille : les petits ont une voix fluette, les gros une voix forte. C’est un mythe. La grenouille arboricole du Pacifique n’est guère plus grosse que l’ongle de mon petit doigt. Sa voix peut pourtant porter à plus de cent mètres. Un soir de printemps, je l’ai enregistrée à 80 dBA à trois mètres ! De même, les bébés vautours des forêts de l’Equateur sont si petits qu’ils tiendraient facilement dans la paume de la main ; pourtant, leurs hurlements sont si retentissants et farouches qu’ils seraient du meilleur effet dans un film d’horreur. A l’inverse, beaucoup de gros animaux ont une voix assez douce, comme la baleine grise de Californie ou le tapir. S’agissant des sons de la nature, il n’y a pas beaucoup de règles. Nos idées préconçues sont presque toujours démenties par l’incroyable diversité de la vie sur Terre ».

11- Une diversité d’écoute dans la forme et la taille de chaque oreille. « Lorsque je travaillais à Sumatra, j’ai observé, médusé, la très secrète panthère longibande décrire des cercles devant l’endroit où j’étais assis en modifiant toutes les deux ou trois secondes l’orientation de ses oreilles, puis les diriger droit devant elle. Une fois retourné au camp, je me suis découpé des oreilles en papier de forme semblable aux siennes. J’ai monté dessus deux petits micros, puis j’ai fixé le tout sur les branches de mes lunettes. La différence entre ce que j’entendais avec mes seules oreilles et avec celles, fausses, du félin était impressionnante. (…) Observez un chat se diriger au son, capter chaque détail en concentrant son attention grâce à l’orientation de chaque oreille. Confectionnez-vous des oreilles de chat : vous comprendrez mieux ».

12- Comment détecter le son sans oreille externe. « Les mammifères marins n’ont pas besoin d’un organe intermédiaire pour entendre. Leur morphologie permet au son d’être détecté dans la gorge, d’où il est directement transmis à l’oreille interne. Certains cétacés, comme le dauphin, perçoivent en fait le son avec la mâchoire. Le phoque commun le capte grâce à ses vibrissae, ou moustaches — les plus courtes captant les fréquences supérieures et les plus longues les fréquences les plus basses.

Les insectes, eux, détectent les sons de trois façons. Certains, comme les grillons, les sauterelles et les cigales, sont dotés d’une sorte de tympan exposé à l’air, situé, selon les espèces, entre le thorax et les pattes avant. D’autres entendent grâce à des poils minuscules, appelés organes de Johnston, qui couvrent les antennes. Et certains insectes non chanteurs, comme le dendroctone du pin ponderosa, n’entendent rien, bien qu’ils soient capables de sentir les vibrations transmises par le sol, l’air ou les végétaux ».

13- L’utilité des plumes pour masquer le bruit du vent. « Les oiseaux n’ont pas d’oreilles apparentes. Ils ont des orifices auriculaires situés juste sous les yeux et recouverts de plumes. En effet, le bruit du vent (en vol ou même à l’arrêt) peut provoquer une interférence avec la réception d’autres sons et les plumes aident à remédier au problème ».

14- Surprenante puissance. « Certains animaux, comme les odontocètes (cétacés), émettent des signaux dont l’intensité, s’ils étaient produits dans l’air, équivaudrait à la décharge d’une arme à feu de gros calibre à quelques centimètres de votre oreille. Cela dit, proportionnellement au poids, l’un des êtres vivants les plus bruyants du règne animal est la crevette pistolet, longue de 4 cm. Nombre d’adeptes de plongée sous-marine connaissent le son qu’elle produit, car ce crustacé vit le long de la plupart des côtes et récifs. Avec sa grande pince, il émet un signal qui se diffuse dans tout l’espace sous-marin et peut atteindre, voire dépasser, 200 dB dans l’eau, soit l’équivalent de 165 dB dans l’air. Sa puissance sonore est comparable à celle d’un orchestre symphonique, qui peut culminer à quelque 110 dBA. Même les Grateful Dead, un groupe de rock dont la musique a atteint en concert des niveaux dépassant 130 dB, ne l’emportent pas sur l’humble crevette ».

15- Encore tant de mystères. « Les anémones produisent des sons étranges. Nous en ignorons le pourquoi et le comment et n’avons aucune idée de ce qu’ils signifient pour les autres organismes vivants du voisinage. (…) De même : pour quelle raison les girafes, que très récemment encore nous croyions plutôt silencieuses, vocalisent-elles à des fréquences si basses que nous ne pouvons les entendre à l’oreille nue ? Est-ce la seule largeur de bande à leur disposition dans la structure biophonique ? Profitent-elles d’une longueur d’onde vacante pour faire entendre leur voix à leurs congénères ? Nous n’avons que des réponses partielles aux questions de ce genre, et venons seulement de comprendre que nous avons beaucoup à gagner en adoptant une écoute critique des sons naturels de la Terre et de ses habitants non humains. »

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Cette page est la partie “bonus” de l’article “La musicalité du vivant et ses curiosités” publié dans la newsletter Nourritures terrestres. Les anecdotes citées ici sont issues du livre “Le grand orchestre des animaux”, de Bernie Krause.

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